La science des ouragans au temps du dérèglement climatique

Le dérèglement climatique a un effet sur presque tous les phénomènes météo, y compris, bien sûr, les tempêtes tropicales et les ouragans comme Fiona.

Les habitants des Îles-de-la-Madeleine et des provinces maritimes subissent l’assaut de Fiona, une tempête historique qui a touché terre ce matin vers 4 h HAA sur la péninsule de Canso, en Nouvelle-Écosse, avec une pression d'environ 931 mb et des vents d'environ 150 km/h. Si Fiona a atteint le seuil de catégorie 4 cette semaine avec des vents de 215 km/h, elle a changé de statut pour devenir une tempête extratropicale peu avant de toucher la côte canadienne.

À VOIR: Vents violents, 100 mm de pluie : Fiona a touché terre

Des analyses devront être effectuées pour déterminer si Fiona a été influencée par les changements climatiques, mais la science a déjà révélé plusieurs effets du réchauffement sur la formation des tempêtes tropicales.

Les ouragans tirent leur force des eaux chaudes. Ils se forment au-dessus des tropiques, où la chaleur abondante leur permet de poursuivre leur course pendant des jours. Même lorsqu’ils se détournent des tropiques pour arriver dans l’Atlantique Nord, le Gulf Stream leur apporte de la chaleur qui peut les raviver ou même les intensifier au large de la côte est des États-Unis et du Canada.

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L’ouragan Fiona est passé de catégorie 3 à 4 au nord des Bermudes, intensifiant les prévisions pour son arrivée sur la côte du Cap-Breton (MétéoMédia)

En temps normal, l’eau est assez froide au large des provinces maritimes, tout au nord du Gulf Stream, pour atténuer les tempêtes tropicales et ralentir leur course avant qu’elles ne touchent le Canada. Le Centre canadien des ouragans d’Environnement Canada estime qu’un de catégorie supérieure à 3 est « pratiquement impossible » ici en raison des eaux trop froides.

Mais on sait que la température moyenne des océans augmente en raison du dérèglement climatique, ce qui pourrait entraîner de lourdes conséquences.

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Tempêtes plus intenses

Les études les plus récentes sur les ouragans ont démontré que leur intensité augmente avec le temps et que les changements climatiques en sont probablement la cause.

Selon un des auteurs de l’étude, Gabriel Vecchi, dans un communiqué émis par Princeton Press en avril dernier, « la proportion de cyclones de catégories 3 à 5 a augmenté de 5 % par décennie depuis 1979. »

« Les cyclones plus imposants et intenses ont tendance à causer plus de dégâts que les tempêtes plus faibles, alors la proportion plus grande de cyclones intenses est inquiétante » a-t-il ajouté.

Puisque plusieurs facteurs peuvent expliquer l’évolution des tempêtes, les chercheurs notent qu’on ne peut pas les attribuer directement aux changements climatiques causés par les activités humaines. Cependant, les tendances concordent aux modèles, menant à leur conclusion que les changements climatiques sont « probablement » responsables de l’intensification des cyclones tropicaux.

Les chercheurs ont aussi remarqué que les cyclones s'intensifient plus rapidement. Pour un exemple récent, remontons à l’ouragan Harvey en 2017. Pendant qu’il passait au-dessus de l’Atlantique, il était seulement considéré comme une tempête tropicale. Après avoir perdu un peu de sa force en traversant la péninsule du Yucatan, il s’est rapidement intensifié au-dessus du golfe du Mexique pour devenir un ouragan de catégorie 4 en seulement deux jours.

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Image satellite de l’ouragan Harvey à son apogée en catégorie 4, le 25 août 2017 (Source : GOES-16 et NOAA)

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Harvey a aussi démontré une autre tendance inquiétante – les cyclones tropicaux se déplacent moins rapidement et stagnent pendant de plus longues périodes. De plus, la latitude où ils atteignent leur intensité maximale s’approche plus des pôles, et le niveau de l’eau qui monte ajoute au risque d’inondation.

Tempêtes plus fréquentes

L’intensité des cyclones tropicaux n’est pas notre seul souci. Les chercheurs veulent aussi savoir s'ils deviennent plus fréquents. Mais il y a un hic : plus on remonte dans le temps, moins les données sur les ouragans sont fiables. C’est tout un défi de comparer les tendances historiques avant l’avènement des radars et satellites.

NOAA-Hurricanes-1851v2021

Le mouvement des ouragans dans l'Atlantique Nord selon les données de la NOAA, comparant 1851 (en haut) à 2021 (en bas). Bien qu'on ait 13 ouragans dans les données de 1851 contre 21 en 2021, la différence est probablement causée par le manque d'observations à l'époque. (Source : NOAA Historical Hurricane Tracks)

Mais de nouvelles méthodes aident à relever le défi. Dans une étude réalisée au MIT, le météorologue et climatologue Kerry Emanuel utilise la réanalyse climatique pour mieux comprendre ce que les rapports officiels de l’époque ont pu manquer.

La réanalyse consiste en l’insertion de données météo historiques dans différents modèles climatiques contemporains. Les résultats peuvent alors être comparés pour vérifier la précision des simulations. En considérant les conditions météorologiques de base qui causent la création d’un ouragan au cours des 150 dernières années à la lumière des modèles actuels, Emanuel a noté trois choses importantes : le nombre d’ouragans de toutes catégories, le nombre d’ouragans majeurs, et le nombre d’ouragans qui touchent terre ont tous augmenté.

North Atlantic Hurricanes climate reanalysis - Emanuel, Nature Communications

Ces graphiques montrent les résultats des trois modèles de l’étude. Chaque graphique contient les données historiques du projet International Best Track Archive for Climate Stewardship (IBTrACS) (ligne bleue), qui produisent une tendance positive (ligne bleue pointillée). La ligne rouge dans chaque graphique représente les résultats de l’étude du MIT, qui révèle aussi une tendance positive (ligne rouge pointillée) pour les ouragans, ouragans majeurs et ouragans qui touchent terre. (Emanuel, 2021/Nature Communications)

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Cette découverte a été vérifiée et confirmée par d’autres chercheurs depuis. Cependant, les mêmes tendances ne sont pas observées dans les autres océans du globe.

« Pour la plupart des bassins de cyclones tropicaux (régions où ils se produisent plus régulièrement), y compris l'Australie, le déclin s'est accéléré depuis les années 1950 », écrit le Dr Savin Chand, auteur principal du nouveau document publié dans Nature Climate Change (et repris par The Conversation).

« Fait important, c'est à ce moment-là que le réchauffement dû à l'homme s'est également accéléré. La seule exception à cette tendance est le bassin de l'Atlantique Nord, où le nombre de cyclones tropicaux a augmenté au cours des dernières décennies. »

D'après un texte de Scott Sutherland, rédacteur scientifique à The Weather Network.