Le Québec assoiffé : est-ce qu’on navigue à l’aveugle?

La sécheresse frappe le Québec au point où des citoyens et des agriculteurs ont vu leurs puits se tarir. Cela met en lumière une faille majeure dans notre gestion de l’eau : on surveille bien les rivières en temps réel, mais beaucoup moins les nappes phréatiques.


En bref :

  • Rivières et nappes sont interconnectées : quand la nappe baisse, les débits fluviaux suivent et inversement;

  • On a trop peu de données en temps réel sur le niveau des nappes pour agir rapidement;

  • Pas de seuils d’alertes : les municipalités réagissent quand la crise est bien installée.

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Si l’on dispose d’un bon suivi des rivières (niveaux et débits en temps réel), les nappes phréatiques restent, elles, mal surveillées. Or, « eaux de surface et eaux souterraines sont connectées, comme tout le cycle de l’eau », rappelle Marie Larocque, professeure au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM et spécialiste des eaux souterraines. En période d’étiage – comme cet automne ou l’hiver – la rivière est souvent alimentée par la nappe; quand les niveaux souterrains baissent, le débit des cours d’eau suit.

À VOIR : Les sources sousterraines du Québec sont-elles à risques :

Télémesure : le trou dans la raquette

Depuis le début des années 2000, le Québec possède un réseau d’observation des nappes comptant environ 260 stations, surtout dans le sud de la province. Mais « la plupart de ces puits d’observation, sauf exception, ne sont pas équipés pour la télémesure. On n’a donc pas un regard continu sur l’état des eaux souterraines », souligne Mme Larocque.

Télémesure : technique permettant de lire à distance les données d’un appareil de mesure, selon le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française.

Des modernisations sont en cours, précise-t-elle, mais on a encore du chemin à faire. Ainsi, ce sont des équipes qui doivent aller sur le terrain pour effectuer des relevés périodiques, souvent deux fois l’an. On est donc démunis pour déclencher rapidement des mesures quand les niveaux chutent.

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Des seuils d’alerte qui manquent

Au-delà des capteurs, le Québec ne s’est pas doté de véritables seuils d’alerte pour les nappes. « C’est quelque chose qu’on n’a pas encore implanté dans la gestion des eaux souterraines », explique la professeure. Historiquement, l’abondance de la ressource a relégué la question au second plan.

Dans les faits, les municipalités interviennent surtout quand les problèmes se manifestent déjà et que les puits municipaux ou privés sont en difficulté, plutôt que d’agir de manière préventive.

« On n’a pas un système de seuils, par exemple un niveau de nappe plus bas de quelques mètres ou dizaines de centimètres, qui ferait lever un drapeau jaune pour dire : attention, à partir de maintenant, il faudrait diminuer ou prioriser nos prélèvements. »

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Si limiter les prélèvements ne fera pas remonter le niveau de la nappe phréatique, cela peut au moins ralentir la baisse et, peut-être, assurer que les usages prioritaires, en premier lieu l’approvisionnement en eau potable pour les citoyens, soient maintenus le temps que la recharge revienne par la pluie ou la fonte des neiges. Cela a fait défaut dans plusieurs municipalités au Québec à l’automne 2025 et de nombreuses personnes se sont retrouvées avec des puits à sec.

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Changer de culture de l’eau

Ailleurs, la précarité de la ressource a forcé l’innovation. « Dans beaucoup de pays, on gère les eaux souterraines comme les eaux de surface, à l’aide de seuils et d’indicateurs, affirme Marie Larocque. C’est la bonne façon de faire : on veut voir venir avant l’urgence. »

Au Québec, on a beaucoup d’eau. Et quand on a beaucoup d’une ressource, peut-être qu’on y fait un peu moins attention.

Mais les pressions climatiques et l’intensification des usages viennent changer la donne : on voit plus d’événements extrêmes, des épisodes secs plus marqués et des territoires où le développement, qu’il soit industriel, agricole ou résidentiel, multiplie les puits et les besoins.

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« Oui, cet été, c’est une sécheresse météorologique extrême, mais les endroits où les problèmes sont les plus criants sont peut-être ceux aussi où on aurait donné trop de permis de construction de puits ou de développements. »

Pour Mme Larocque, la voie à suivre combine une meilleure connaissance de la ressource et une gestion intégrée : déployer la télémesure, publier des tableaux de bord publics des niveaux de nappes et coordonner les décisions à l’échelle des bassins versants pour tenir compte du lien entre les eaux de surface et les eaux souterraines.

« Si on pompe dans la nappe près d’une rivière, on va baisser le niveau de la rivière, probablement, et vice-versa, si on pompe beaucoup dans la rivière, ça peut avoir un effet sur les niveaux de la nappe. Chaque intervention dans un bassin versant peut avoir un impact sur une autre composante du cycle de l’eau », rappelle la professeure.

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Soulagement à l’horizon

La séquence sèche de 2025 a été exceptionnelle dans plusieurs régions, mais heureusement, des systèmes plus actifs en termes de précipitations se profilent d’ici la fin de l’automne. « Les ressources en eau souterraine sont là; les nappes ne sont pas en train de s’épuiser. Si on a une fin d’automne humide, un hiver neigeux, une bonne recharge au printemps, il se pourrait que l’été 2025 soit de l’histoire ancienne quand on arrivera en juin prochain… Mais peut-être pas; cela dépendra de la météo. »


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