Un oiseau de chez nous capable de prédire l'intensité de la saison des ouragans

Depuis plus de 20 ans, l’ornithologue américain Christopher Heckscher étudie la migration et la nidification de la grive fauve. Ses résultats dévoilent un pouvoir fascinant : ces oiseaux seraient en mesure de prédire l’intensité de la saison des ouragans… mieux que quiconque !


Cette espèce de passereaux se reproduit en Amérique du Nord, majoritairement au nord des États-Unis et sur le sud du Canada, et passe l’hiver sous la chaleur du golfe du Mexique. L’apogée de leur migration a lieu entre août et octobre. Christopher Heckscher s’intéresse à sa population du Delaware. Au fil du temps, l’ornithologue réalise que la période de nidification de la grive fauve change d’une année à l’autre. C’est que lorsque cette espèce d'oiseaux perd ses œufs en raison des aléas de la météo ou tout simplement des pattes de prédateurs, elle va tenter une nouvelle fois d’amener ses œufs au stade de l’éclosion. Éventuellement, si elle enchaîne les échecs, la grive va muer et se préparer à la migration. C’est ce moment qui change d’une année à l’autre, ce qui surprend l’ornithologue. En effet, mettre un terme à sa période de reproduction peut mettre en péril la survie de son espèce. C’est alors que Heckscher se penche sur la question.

Il commence par tenter d’établir une corrélation entre les conditions météorologiques du Delaware et la migration de la grive fauve. Ses résultats ne mènent à rien. Ce n’est que lorsque Heckscher se tourne vers les ouragans dans le bassin atlantique qu’il trouve une réponse fascinante à sa problématique. Il observe que lorsque le passereau vit de longues saisons de reproduction, celles des ouragans sont d’intensité faible ou moyenne. Lorsque la saison est intense, avec plusieurs monstres météo majeurs, la période de nidification de l’oiseau est écourtée. L’ornithologue émet donc l’hypothèse que la grive fauve partirait plus tôt vers le sud pour éviter de traverser le golfe du Mexique alors qu’un puissant ouragan s’y trouve. Il décide de se concentrer à 100 % sur le sujet et en 2018, Heckscher dévoile le résultat de ses recherches et publie un tweet audacieux :

L’ornithologue du Delaware annonçait que les grives fauves qu’il étudiait prédisaient une saison des ouragans plus intense que la normale. Cette année-là, la NOAA et les chercheurs de l’Université du Colorado annonçaient une saison de moyenne ou de basse intensité. On mesure cette donnée en énergie cumulative des cyclones tropicaux (ACE). En tenant compte de la chaleur des eaux de surface dans le golfe du Mexique, pour le début de la saison, il est possible de déterminer la disponibilité en énergie qui nourrira les futurs systèmes tropicaux. Bien qu'elle soit plus précise lorsqu’un système atteint le stade de tempête tropicale, on peut tout de même émettre une hypothèse en calculant l’ACE. En 2018, Heckscher a estimé l’ACE entre 70 et 150 avec trois à cinq ouragans majeurs alors que la NOAA a prédit un ACE de 103 pendant que l’Université du Colorado le plaçait à seulement 60. Finalement, la saison dans le bassin atlantique a été plus intense que la normale avec un ACE final de 129 et deux ouragans de catégorie 3 et plus. Au terme de cette année-là, les noms de Florence et Michael ont été retirés de la liste en raison des dommages et pertes humaines causés.

Des prédictions gagnantes qui se poursuivent

L’ornithologue du Delaware a donc vu juste pour 2018. Toutefois, ce n’était pas un coup de chance. En 2019, il prédit une saison un peu plus active que la normale avec un ACE pouvant atteindre 140. Il prévoit également deux à trois systèmes majeurs. Cette année-là, la saison s’est terminée avec un ACE de 139 et trois ouragans majeurs, soient Dorian, Lorenzo et Humberto.

Finalement, en 2020, la saison des ouragans surprend tout le monde alors que Heckscher en prédit une moyenne pendant que la majorité des prévisionnistes prévoient une intensité plus importante.

Toutefois, personne n’avait vu venir le total record de 30 systèmes tropicaux, dont sept ouragans majeurs. Cette saison s’est soldée avec un ACE de 180.

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Ainsi, dans la majorité des cas, en observant la nidification et le moment où les grives fauves se préparent à la migration, Heckscher est en mesure de prédire l’intensité de la saison des ouragans de façon somme toute efficace. L’oiseau vit de plus longues saisons de reproduction quand la saison des ouragans est de faible ou moyenne intensité. La prédiction de Christopher Heckscher pour 2021 devrait être publiée en juillet.

Les limites de l’étude

L’ornithologue a confiance en ses observations. Toutefois, il est toujours à la recherche de la raison qui fait que les grives fauves sont en mesure de « sentir » l’intensité de la saison des ouragans. Son hypothèse principale est que les épisodes El Niño et La Niña, qui influencent les systèmes tropicaux dans le bassin atlantique, apportent des conditions météorologiques légèrement différentes dans le Delaware. D’autres travaux sont à réaliser pour confirmer cette hypothèse. Il désire également élargir son échantillon étudié pour observer le comportement d'un plus grand nombre de couples de grives fauves.


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