Voici pourquoi des petits oiseaux foncent au coeur d'un ouragan

Quand l’ouragan devient buffet : voici comment un petit oiseau tire profit du chaos.


Une aubaine risquée

Les ouragans retournent l’océan. Pour certaines espèces marines, elles représentent une véritable aubaine : en remontant vers la surface des proies des grandes profondeurs, les cyclones servent un festin inattendu aux oiseaux de mer opportunistes, comme le pétrel des Desertas.

Une occasion à saisir

Sur un plateau rocheux de l’archipel de Madère, un petit oiseau nocturne, un pétrel des Desertas, se blottit dans son terrier. À des milliers de kilomètres au large, une tempête tropicale s’organise et puise son énergie à la surface de la mer. Les rafales qui atteignent parfois 250 km/h causent des houles gigantesques qui brassent la colonne d’eau. Pour la plupart des oiseaux marins, une telle tempête est synonyme de danger. Ils restent à terre, font tout pour contourner la tempête, ou à la limite, cherchent le calme relatif de l’œil de la tempête. Mais pour le pétrel des Desertas, c’est une occasion à saisir.

Aller au-devant de la tempête

Des chercheurs, notamment Francesco Ventura et son équipe, ont installé des dispositifs de repérage GPS sur des pétrels. Ils ont ainsi pu suivre leurs aller-retour sur plusieurs saisons de reproduction, soit de 2015 à 2019. Le résultat les a renversés : ces oiseaux effectuent des « voyages de pêche » parmi les plus longs jamais enregistrés, soit jusqu’à 12 000 km sans toucher terre. Et quand un cyclone se forme à des centaines, voire plus de 1000 km de colonie, les pétrels ne s’éloignent pas, au contraire, ils orientent leurs trajectoires pour se rapprocher des bandes orageuses, parfois jusqu’à moins de 200 km de l’œil. « Ils se mettent exactement au bon endroit, au bon moment, pour se faire traverser par un ouragan », résume Ventura.

« Honnêtement, je n’imagine même pas à quoi ressemblent les conditions », confie Ventura. « Ce sont des oiseaux de la taille d’un pigeon, quelques centaines de grammes, qui subissent des vents supérieurs à 100 km/h et des houles de plusieurs mètres. Ils sont en plein cœur de la folie du cyclone. »

Brasser le chaudron

Les cyclones ne se contentent pas de chasser la surface : ils brassent la colonne d’eau. L’eau chaude de surface est poussée vers le bas tandis que de l’eau froide, riche en nutriments, remonte. Ce brassage favorise parfois des concentrations de phytoplancton, ce qui attire poissons et céphalopodes, y compris des espèces vivant normalement dans des eaux beaucoup plus profondes. Quand ces proies remontent près de la surface, elles deviennent accessibles aux oiseaux. Calmars, petits poissons et crustacés deviennent un véritable banquet.

Le pétrel des Desertas, grâce à son vol très efficace et à ses ailes longues et fines sait exploiter les vents de l’Atlantique Nord. Il utilise les variations de vitesse et de direction du vent pour couvrir de longues distances sans battre beaucoup des ailes, économisant ainsi l’énergie nécessaire pour ces interminables périples.

Adaptation ou risque calculé ?

L’approche des ouragans est une stratégie à double tranchant. Pour quelques espèces opportunistes, l’avantage nutritif l’emporte : ces escales alimentaires peuvent être cruciales en période de reproduction. Pour d’autres, mal adaptés au vent et à la houle extrêmes, les tempêtes signent le désastre : désorientation, épuisement, déroutement loin des zones d’alimentation. Plusieurs n'y survivent pas. Les relevés montrent d’ailleurs l’ampleur du risque : entre décembre 2013 et février 2014, près de 60 000 oiseaux marins ont été rejetés morts le long des côtes de l'Atlantique après de violentes tempêtes. Plusieurs étaient morts de faim ou d’épuisement.

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Enjeux écologiques et conservation

Le pétrel des Desertas est une espèce menacée : toute la population nicheuse mondiale ne compterait qu’environ 200 couples. Comprendre comment ces oiseaux exploitent les tempêtes, quand ils les poursuivent et quand ils les fuient est donc précieux pour leur survie. Cela permet d’anticiper leurs déplacements, d’évaluer les risques liés à des ouragans de plus en plus intenses et, le cas échéant, d’adapter les mesures de protection des lieux de reproduction.

Par ailleurs, si les ouragans peuvent ponctuellement enrichir la surface en nourriture, ils peuvent aussi dévaster durablement des habitats côtiers : destruction de nids de tortues, effondrement de bancs de coquillages, et fragilisation de récifs coralliens. Ces effets, conjugués à d’autres pressions comme la pêche, la pollution ou le réchauffement des eaux, complexifient l’équation de survie pour de nombreuses espèces.

Une saison ponctuelle mais décisive

Les ouragans sont des événements saisonniers et localisés. De ce fait, les espèces marines qui ont évolué dans ces régions ont développé des comportements fins pour tirer avantage ou se prémunir des tempêtes. Certains oiseaux, comme les pétrels étudiés par Ventura, semblent même « prédire » la trajectoire du vent à grande échelle et utilisent ces connaissances pour aller chercher la nourriture là où elle surgit.

« L’océan est en effervescence », conclut Ventura. « Nous savons à quel point les ouragans sont dévastateurs pour les humains, mais ils sont aussi des événements ponctuels qui transforment drastiquement l’écosystème marin, parfois en faveur de prédateurs aériens. »

En bref

  • Les cyclones brassent la colonne d’eau et peuvent remonter des proies profondes vers la surface.

  • Le pétrel des Desertas choisit sciemment de se rapprocher des cyclones pour se nourrir et peut parcourir des distances énormes, jusqu’à 10 000 km, durant ses migrations.

  • Cette stratégie est risquée, mais peut être décisive en saison de reproduction ; la population mondiale reste cependant très réduite.

  • Les ouragans offrent à la fois des opportunités alimentaires ponctuelles et des menaces pour les écosystèmes côtiers.

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