Les enjeux de la COP 28 en cinq questions

Les négociations internationales sur le climat ont lieu, cette année, à Dubaï aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre. Les représentants de tous les pays devront s'entendre sur plusieurs questions, dans l’optique de stopper les changements climatiques. Afin de bien comprendre les enjeux, nous avons rencontré Philippe Simard, chargé de cours à l'École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, et lui avons posé la série de questions que voici.

Q. — Quels sont les principaux enjeux de la COP 28?

R. — Il y a trois grands enjeux à surveiller. Le premier, c’est celui de l’adoption du bilan mondial et l'impulsion politique des pays qui va découler de ce bilan. Celui-ci sert à faire état des progrès réalisés depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. On devra déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas bien. Il faudra donc déterminer comment renforcer l’action climatique pour atteindre nos objectifs. Malheureusement, on sait déjà qu’on est bien loin du compte. À Dubaï, on va savoir si ce bilan servira d’électrochoc pour relever le niveau d’ambition des pays.

Le deuxième est celui sur les négociations pour le fond et la forme que va prendre le fonds Pertes et préjudices adopté l’année dernière en Égypte. Ce fonds est demandé depuis des années par les pays en développement qui sont les plus vulnérables aux changements climatiques. Il servira à payer une partie des pertes engendrées par des événements climatiques extrêmes comme les sécheresses de longue durée, les ouragans, etc. Parce que ce sont les pays développés qui sont les responsables historiques des changements climatiques, il faudra voir comment ils seront en mesure de financer ce fonds-là. Certains pays développés veulent que l’Inde et la Chine participent aussi à ce financement. Car même s’ils sont des pays émergents, ils sont de grands émetteurs.

Le troisième, c’est le nerf de la guerre de COP en COP, la question du financement. Il faut se souvenir qu’en 2009, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards par année pour appuyer les pays en développement dans leurs luttes contre les changements climatiques. Cette promesse n’a jamais encore été tenue. Ce fonds devait voir le jour en 2020. Nous avons donc trois ans de retard. Cela cause d’énormes frustrations auprès des pays en développement et cela effrite leur confiance envers les pays développés par rapport à leur bonne volonté de vouloir lutter adéquatement contre les changements climatiques. Malheureusement, on sait déjà que ces 100 milliards de dollars par année ne seront pas assez pour lutter efficacement contre les changements climatiques.

Q. — Certains pays voulaient qu’on combine le fonds Pertes et préjudices avec le fonds du financement. Pourquoi ça n’a pas fonctionné?

R. — C’était la volonté des pays développés de pouvoir utiliser les mécanismes actuels plutôt que d’en créer de nouveaux. Mais les pays en développement ont souligné que les 100 milliards de dollars par année ne sont pas suffisants pour répondre à leurs besoins afin de réduire leurs émissions et de s’adapter aux changements climatiques. Ils ne voulaient donc pas inclure la question des pertes et préjudices là-dedans, car pour eux, il est clair qu’on va manquer d’argent.

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Q. — Est-ce que cela pose un problème que les grands pays producteurs de pétrole participent à la COP? Surtout que la présidence de la COP, cette année, sera assurée par le grand patron de la plus grosse pétrolière du pays hôte…

R. — La question de la présidence émiratie est quelque chose qui a créé beaucoup de grogne, mais surtout un doute quant à la capacité de la présidence à faire ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs. Ce doute, selon moi, est justifié. Mais d’un autre côté, on peut espérer que cette présidence va permettre de rallier les pétronations autour d'objectifs et d’actions plus ambitieux pour le climat. Le leadership des Émirats arabes unis sera, peut-être, en mesure de propulser l’industrie pétrogazière vers la voix de la décarbonisation. On espère, mais rien n’indique qu’un tel mouvement est en marche. C’est dommage, car on sait que c'est plus que nécessaire. La science est claire : pour atteindre l’objectif de 1,5 °C, il faut réduire massivement notre dépendance à l’énergie fossile, investir massivement dans les énergies renouvelables et réduire notre consommation d’énergie. Je pense qu'à l'issue de la COP 28, on sera en mesure de juger de la qualité de la présidence et le fait qu’une pétronation assume cette présidence.

Q. — Est-ce que ces COP servent encore à quelque chose? On a souvent l'impression que les choses n’avancent pas, même si tous parlent de l’urgence d’agir.

R. — Sans hésiter oui, absolument. Je vous l'accorde, les processus de négociation sur le climat sont longs, lourds et peuvent parfois laisser penser que rien n’avance. C’est là qu’il faut faire attention, car il est faux de penser que rien n’avance. Les données sont claires : sans l’Accord de Paris, le réchauffement planétaire anticipé serait beaucoup plus important qu’il ne l’est maintenant. Sans le rehaussement des cibles climatiques qu’on a eu en 2021, comme le prévoyait l’Accord de Paris, on serait en plus mauvaise posture. Est-ce que ça avance? Oui! Est-ce que ça avance assez rapidement? Non!

J’utilise souvent l’analogie du sprinter et du marathonien pour illustrer notre réponse à la crise climatique. Les impacts de celle-ci, c’est le sprinter. Ça va super vite, mais la réponse du régime onusien c’est le marathonien. Les deux courent, mais le sprinter court beaucoup plus vite. Est-ce que cela veut dire que le marathonien doit arrêter de courir? Évidemment que non! Mais selon les experts, il faut que le marathonien augmente sa vitesse. On passe évidemment par le système onusien, mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas dans les COP que se règle le sort du monde sur la question climatique. Ces négociations servent à s’entendre sur des stratégies et les outils pour y arriver. C’est aux gouvernements de livrer la marchandise en adoptant des politiques et des lois. Ils doivent également allouer des montants nécessaires à la lutte aux changements climatiques. On doit voir les COP comme un des nombreux fronts de cette lutte et non pas comme une fin en soi.

Q. — Est-ce que vous croyez à la captation du carbone comme technologie salvatrice? Plusieurs pétronations ont déclaré que de couper complètement l’utilisation d’énergie fossile nuirait au développement des pays moins nantis.

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R. — Ce que nous dit l’Agence internationale de l’énergie, c’est qu’un monde carboneutre à l’horizon 2050 aura besoin de ce genre de technologie. Mais pour se débarrasser des émissions résiduelles, celles qui sont difficiles à réduire, ce n’est pas une solution miracle qui nous permettrait de maintenir le statu quo en matière d’émissions. Il faut combiner les systèmes naturels et les technologies de captation pour nous permettre de réduire nos émissions de GES.

En ce qui concerne les pays en développement, on doit se poser la question, car ils ont un droit essentiel reconnu par les Nations Unies, celui d’avoir la possibilité de se développer. Est-ce que les pays en développement ont absolument besoin de combustibles fossiles pour se développer parce qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour aller vers des énergies renouvelables? C’est un faux débat, car depuis les dernières années, on a eu la démonstration que les technologies dans le domaine des énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives. Dans plusieurs cas, elles sont moins chères que les infrastructures nécessaires aux combustibles fossiles. De plus, elles sont moins vulnérables aux changements climatiques. Quand on met en place des technologies d’énergies renouvelables, on évite d’entrer dans des mécanismes de verrouillage à long terme qui feraient en sorte qu’on serait encore dépendant des énergies fossiles.