Recette parfaite pour une invasion de criquets pèlerins

En août 2019, le réseau de surveillance des cultures de l’Afrique de l’Est soulignait son inquiétude face à la montée du risque d’invasion par le criquet pèlerin au Soudan et en Éthiopie. Déjà en décembre, les premières alertes de prolifération massive de l’insecte étaient diffusées. Ce type de criquet se nourrit de toute la végétation qu’il trouve sans avoir de préférence pour une culture ou une autre. Pour cette région du monde, déjà malmenée par les famines successives, c’est une très mauvaise nouvelle.

Les facteurs météo ont tous conjugué leurs efforts

La croissance, le développement, la prolifération et la survie de ce type de criquets dépendent de conditions météo très précises. Puisqu’il est difficile de réunir toutes ces conditions en même temps au même endroit, l’invasion que connaît la Corne de l’Afrique est sans précédent. Cette région du monde n’est toutefois pas étrangère aux invasions destructrices d’insectes ou de maladies. Au début des années 90, 50 % des caféiers robusta avaient été décimés par la maladie. Début 2000, 60 % des bananes étaient éradiquées par une bactérie et depuis le milieu des années 2000, les cultures de manioc et de maïs subissent le même sort.

Chaque étape de la vie d’un criquet pèlerin est régie par les conditions météo. La ponte des oeufs, l’éclosion de ceux-ci, le développement de l’insecte, le durcissement de leurs ailes, l’étape de maturité et la vitesse de déplacement des adultes ont besoin de conditions météo précises. Son évolution est influencée par la quantité de pluie, l’humidité contenue dans le sol, la température du sol et de l’air ainsi que par les vents de surface. Tous jouent un rôle dans la propagation et l’intensité de l’invasion.

Le dipôle de l’océan Indien

Entre juin et décembre 2019, l’océan Indien a vu ses eaux de surface, au large des côtes africaines, se réchauffer. Ce mécanisme s'appelle le dipôle de l’océan Indien. Lorsque les eaux de surface se réchauffent sur la portion orientale de l’océan Indien, on dit que le dipôle est en phase négative. Si l’eau se réchauffe près des côtes de l’Afrique, il est alors en phase positive. Un dipôle en phase positive de l’océan Indien, favorise la formation de nuages sur la portion est de l’Afrique. C’est pendant cette période que les pluies seront plus abondantes sur cette région du globe.

Normalement entre octobre et décembre, la Corne de l’Afrique connaît sa plus courte saison des pluies. Sauf qu'en 2019, le nord-ouest de l’océan Indien a connu son plus grand nombre de cyclones tropicaux pour cette période de l’année. Les effets combinés de la saison des pluies, intensifiée par le dipôle de l’océan Indien, et de l’activité tropicale, ont donné des quantités de pluie supérieures à la normale sur l’Afrique de l’Est et le Moyen-Orient. Cette abondance de pluie a favorisé la croissance exponentielle des végétaux, et puisque ce type de criquet se nourrit de toutes les espèces de plantes, son garde-manger était plein. Cette période prolongée de pluie, là où normalement le climat est semi-aride, a permis aux criquets d’augmenter leur cycle de reproduction. De plus, il atteint sa maturité plus rapidement dans un environnement où la pluie a été abondante.

L’invasion affecte de nombreuses populations

Les premières hordes ont migré du Yémen et de Djibouti pour ensuite envahir plusieurs autres pays. Aujourd’hui, on en retrouve en Éthiopie, en Érythrée, au Soudan et au Soudan du Sud, au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Durement touchées par la sécheresse et la famine depuis des décennies, les cultures de cette région sont maintenant menacées par le criquet pèlerin. La sécurité alimentaire de ces populations est fortement à risque.

Dans le contexte des changements climatiques, la fonte de l’Arctique a une incidence sur l’intensité des alizés aux tropiques. Des alizés plus forts pourraient vouloir dire une récurrence du dipôle de l’océan Indien en phase positive plus fréquente. Ceci apporterait, à nouveau, des conditions plus propices aux invasions de criquets pèlerins dans une région du monde qui aurait bien besoin d’un répit.

Crédit image d'illustration : AtelierMonpli