Malheureusement, l’Antarctique a rattrapé l’Arctique

Depuis des décennies, on voit l’Arctique fondre à vue d'œil. Déjà, les dérèglements climatiques que cela engendre sont bien visibles. L’Antarctique semblait plutôt stable. Mais voilà que les nouvelles observations du satellite Sentinel-1 de Copernicus montrent que le continent austral perd beaucoup de glace, lui aussi, et rapidement. Celui qui ralentissait un peu le réchauffement climatique est maintenant entré dans la danse.

Daphné Buiron est glaciologue et docteure en géosciences de l’université de Grenoble. Elle est aussi l’auteure du livre Habiter l’Antarctique. Elle se passionne pour ce continent depuis toujours. Elle y a fait un séjour d’un an il y a quelques années sur la base française de Dumont d’Urville. Mme Buiron ne s’est pas arrêtée là puisqu’elle a aussi fait des séjours au Groenland et des voyages en Arctique. La différence entre les deux pôles de la Terre est, à la base, la raison pour laquelle la fonte des calottes glaciaires ne se fait pas au même rythme, rappelle-t-elle.

L'Arctique est une banquise posée sur un océan et est entouré de terres. L’Antarctique c’est le contraire, explique la scientifique. On a 3000 à 4000 mètres de glace posés sur la terre ferme et entourée de plateaux de glace qui reposent sur l’océan. L’Antarctique a toujours été beaucoup plus stable, car il y a beaucoup plus de glace qu’au pôle Nord et qu’il y fait beaucoup plus froid. Sur le plateau de ce continent, il fait en moyenne -30 °C en été et -50 °C en hiver. C’est d'ailleurs à cet endroit qu’on a enregistré la plus basse température sur Terre, soit -89,2 °C en 1983. Mais avec le réchauffement de l’océan Austral, l'Antarctique est maintenant un joueur non négligeable du changement climatique mondial.

Il y a maintenant plusieurs similitudes entre nos deux pôles. Le réchauffement de ceux-ci a une grande influence sur la circulation océanique qui, elle, a un impact sur le climat. Les courants-jets des deux hémisphères sont également modifiés par la fonte des pôles. Chaque année, on y observe une fonte saisonnière de la glace. Lors de la saison froide, la glace se reforme, mais elle est plus mince, plus fragile, plus vulnérable et moins efficace pour ralentir le dérèglement climatique mondial.

Tout comme les glaciers du Groenland, ceux de l’Antarctique sont infiltrés par l’eau de fonte estivale. Cette eau se retrouve à la base des glaciers et agit comme un lubrifiant qui accélère le mouvement de ceux-ci vers la mer, créant des icebergs de plus en plus volumineux, qui se détachent de la banquise continentale. De plus, la chaleur permet des chutes de neige plus abondantes. Ce poids supplémentaire sur la glace contribue aussi à cette accélération. Selon Copernicus, les plates-formes tabulaires de l'Antarctique ont perdu 40 % de leurs surfaces depuis 25 ans. Celles-ci jouent un rôle crucial en ralentissant le mouvement des glaciers. Non seulement le continent fond plus vite, mais le mécanisme qui pourrait ralentir la perte de la glace est en train de disparaître.

La faune de nos pôles est aussi grandement affectée par le réchauffement climatique. Cette année, en Antarctique, 10 000 poussins de manchots empereurs ont trouvé la mort à cause de la fonte de la banquise. Selon Daphné Buiron, la banquise est partie trop tôt. Les poussins n’ont pas eu le temps de muer et ainsi d’avoir leurs plumages imperméables. Ils sont tombés à l’eau et sont morts de froid. Mme Buiron raconte que lors de son voyage en Alaska cet été, qui s’est terminé à Alert Bay en Colombie-Britannique, la population autochtone de ce village lui a confié que les stocks de saumons sont très bas. Le saumon constitue la source principale d’alimentation de cette communauté. Non seulement le réchauffement et l'acidification de l'eau de mer réduisent le nombre de saumons, mais les ours bruns qui migrent, par manque de nourriture, mettent en danger la population, car elle les côtoie maintenant plus fréquemment aux abords de la rivière où les résidents pêchent. Pour les habitants de ce village, c’est une catastrophe, car ils associent leur bonne santé aux effets bénéfiques de la consommation de ce poisson.

J'ai interrogé un ancien d’un village près du cercle arctique, se souvient Mme Buiron. Il a vécu toute sa vie sur la banquise. Il y chasse et la connaît comme le fond de sa poche. Il sait, par expérience, comment se comporte la glace et où il est risqué de s'aventurer. L’an dernier, il est passé à deux reprises au travers de la glace, car elle fond plus vite qu'à l'habitude depuis quelques années. Contrairement à l’Antarctique, le pôle Nord est assez peuplé. Tous les villages ont été bâtis au bord de l’eau. Mais maintenant, l’érosion causée par le manque de glace et l’effondrement du pergélisol met à risque ces communautés. Plusieurs ne pourront être sauvées et devront être relocalisées, souligne-t-elle.

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Une étude exhaustive, qui a été réalisée pour le compte de l’Agence spatiale européenne, s’est basée sur plus de 100 000 images radar pour produire un portrait complet de l'état des glaces de l’Antarctique. Celle-ci a observé que 71 des 162 zones de glace tabulaire, autour du continent, ont perdu de la masse. Cette fonte a relâché 67 trillions de tonnes d’eau froide et non salée dans l’océan. Ce qui a provoqué une modification de la circulation océanique. Toujours selon l’étude, presque toutes les banquises tabulaires de l’Antarctique occidental sont affectées par cette fonte. L’été austral commence à peine et le continent a 1,5 million de km2 de glace de moins que le précédent record. La péninsule antarctique est la région la plus touchée.

On croyait que les glaciers tabulaires de l’Antarctique connaissaient un cycle anormal de fonte, mais que ceux-ci se reformeraient lentement. Ce n’est pas le cas. Au contraire, on n’observe aucun signe de rétablissement de la banquise et c’est plutôt inquiétant, note M. Davison, de l’université de Leeds, qui a participé à l’étude.