
La plus importante ressource du Québec est-elle à risque?
Chez nous, il y a tellement d’eau qu’on ne la voit même plus. On l’utilise sans compter comme si elle était inépuisable. Mais l’est-elle vraiment? Surtout avec le climat de demain qui s’installe sournoisement.. Marie Larocque est une spécialiste de la question. La professeure de l’UQAM au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère est aussi titulaire de la chaire Eau et conservation du territoire.
Tous les réservoirs d’eau de surface et souterrains sont connectés entre eux souligne madame Laroque. La différence c’est qu’ils ne s’écoulent pas tous à la même vitesse, mais ils sont tributaires les uns des autres. Les changements du niveau d’un affecte le niveau de l’autre. Même si le mécanisme n’est pas toujours le même, il existe un échange entre les lacs, les rivières, les milieux humides et les nappes souterraines. Tous ces réservoirs sont à la merci des conditions météorologiques qu’on observe à chaque saison. L’eau souterraine est, la plupart du temps, utilisée pour subvenir aux besoins de l’activité humaine. Il est donc essentiel de connaître les besoins et la disponibilité de la ressource avant d’émettre des permis de pompages, soit pour les activités résidentielles, soit pour les activités commerciales.
Mieux comprendre les maillons de la chaîne
Au Québec, on sait combien d’eau on pompe pour s’alimenter, combien on en extrait pour l’irrigation mais on connaît mal les besoins des écosystèmes, souligne-t-elle. De combien les milieux humides ont-ils besoin de cette ressource et à quel moment de l’année, pour être un habitat viable. Car les écosystèmes qu’ils soutiennent jouent un rôle crucial dans l’équilibre et la survie de la biodiversité. Ces milieux humides jouent aussi un rôle essentiel pour contrôler l'écoulement de l’eau vers les bassins versants. Par exemple, lors de fortes pluies ils vont retenir une certaine quantité d’eau et ainsi éviter des inondations en aval des cours d’eau, car ce surplus va s’écouler plus doucement.
Le sous-sol, un joueur clé
Il est important de souligner que peu importe le mécanisme d'infiltration de l’eau de surface, incluant les précipitations, vers les profondeurs du sol, la formation géologique déterminera le taux d’infiltration. Dans la vallée du Saint-Laurent jusqu’au pied des Appalaches, le sol est composé d’argile. Il est très peu perméable. Ainsi l’échange entre les eaux souterraines et les eaux de surface est minime. La région des Laurentides repose, quant à elle,sur la formation rocheuse du Bouclier canadien. Ceci limite l’infiltration des eaux de surface vers les nappes souterraines. Dans certains secteurs du centre du Québec il y a aussi un enjeu. Il y a de l’eau mais pas en grande quantité. Si un agriculteur veut augmenter son cheptel, il se peut qu’il manque d’eau.
Les risques sont toujours présents
Madame Laroque rappelle qu’il y a de l’eau partout au Québec mais qu’elle n’est pas abondante partout. Il y a des régions où les réserves ne sont pas assez abondantes pour subvenir aux besoins d’une importante activité humaine. Les problèmes vont survenir lorsqu’on aura une année sèche, c’est-à-dire une année où il y aura plus d’évaporation que de précipitations. Surtout si pour une région donnée, on a autorisé un prélèvement important de l’eau souterraine pour nos activités quotidiennes. Elle cite en exemple les années 2019, 2020 et 2021 qui ont été des années plutôt sèches. À ce moment-là, certaines municipalités avaient revu leur réglementation pour faire face à cette nouvelle réalité, souligne la professeur. Malheureusement 2022, 2023 et 2024 ont été des années plus normales et on a tout oublié en se disant qu’il n’y avait plus de problème, ajoute t-elle.
Mieux connaître le climat de demain
Les changements climatiques vont mettre à rude épreuve nos connaissances sur cette ressource. La plupart des modèles utilisés par les scientifiques afin de comprendre comment les changements climatiques vont modifier notre accès à l’eau ne sont pas nécessairement pessimistes car ils montrent qu’on aura une plus grande recharge de nos nappes souterraines. Cependant, ils montrent aussi un plus grand contraste du régime de précipitations d’une année à l’autre, sans compter que nous assisterons à un changement notable dans les saisons. Nous avons mis en place des recherches afin de déterminer combien d’eau on extrait du sous-sol sans compromettre tous les usages actuels de la ressource, souligne Madame Larocque.
Le niveau des eaux au fil des saisons
En général, le niveau des eaux souterraines est plus bas en hiver et en été tandis qu’il est normalement plus élevé au printemps et à l’automne. Durant les mois d’hiver, l’eau de surface est gelée. Il n’y a donc plus d’interaction entre les réservoirs de surface et ceux qui sont souterrains. De plus, le sol est aussi gelé. Il faudrait donc un important dégel et une bonne quantité de pluie pour que les réservoirs souterrains se rechargent. En été, c’est l’évaporation dûe à la chaleur qui fait baisser le niveau des nappes phréatiques. Surtout lors de périodes plus sèches où les nappes ne sont pas renflouées par les précipitations qui s’infiltrent à travers le sol. Il est donc fréquent de voir le niveau des nappes baisser pendant ces deux saisons.
Lorsque le printemps s’installe, la rapidité du dégel du sol sera garante de la recharge de nappes. En effet, tant que le sol est gelé, l’eau de la neige qui fond ne peut rejoindre les réservoirs qui se trouvent en profondeur. Cette variable est directement liée aux conditions météorologiques du début de la saison froide. Si un important gel survient avant l’arrivée de la neige, le sol va geler profondément. Cependant si c’est un gros couvert de neige qui s’installe avant les grands froids, le sol n’aura pas le temps de gelé et une fois le printemps arrivé l’eau de fonte pourra plus rapidement percoler vers les nappes phréatiques. L’automne est aussi une période où l'eau souterraine est assez abondante car il est fréquent de voir de bonne quantité de pluie tombée durant cette saison.
