La nouvelle ère de l’exploration spatiale pourrait endommager la couche d’ozone

Julie PerreaultRédactrice

Des scientifiques tirent la sonnette d’alarme concernant les impacts potentiels sur l’environnement et la santé des futurs voyages spatiaux.

Faits saillants

  • Les lancements de fusées libèrent environ 1 000 tonnes de suie dans l’atmosphère chaque année.

  • La suie présente dans la stratosphère absorbe l'énergie solaire et provoque une augmentation des températures.

  • On s'attend à 10 fois plus de lancements dans les 20 prochaines années, ce qui pourrait augmenter les températures stratosphériques mondiales de 0,5 à 2 °C.


Avec le nombre croissant de lancements de fusées, l’inquiétude grandit quant à la quantité de carbone noir qui se répand dans la haute atmosphère. En conséquence, il y a maintenant des appels à de nouvelles réglementations pour réduire les impacts environnementaux des vols spatiaux.

Le carbone noir, également connu sous le nom de suie, est produit par la combustion incomplète de combustibles fossiles. Elle est devenue un problème majeur à la fin du 19e siècle, au début de la révolution industrielle, en raison de ses impacts sur la santé humaine. Ainsi, au cours des décennies qui ont suivi, des mesures ont été prises pour réduire la quantité de carbone noir émise dans l’air.

Cependant, une autre source de carbone noir devient de plus en plus préoccupante au 21e siècle. On estime qu’actuellement les lancements de fusées libèrent environ 1 000 tonnes de suie dans l’atmosphère chaque année, selon la NOAA, bien que la quantité exacte soit encore mal comprise.

La principale préoccupation à ce sujet n’est pas tant ses effets sur l’environnement près de la surface, mais plutôt dans les niveaux supérieurs de notre atmosphère lorsque le carbone noir est injecté dans la stratosphère.

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Cette photographie de la navette spatiale Endeavour a été prise par un astronaute à bord de la Station spatiale internationale en 2010. Les différentes couches de l’atmosphère sont pleinement exposées en arrière-plan derrière Endeavour, avec la stratosphère située entre 20 et 50 kilomètres au-dessus de la surface. (NASA/Scott Sutherland)

La suie présente dans la stratosphère a pour effet principal d’absorber la lumière solaire entrante et de la retransmettre sous forme de chaleur, provoquant une augmentation des températures.

Au cours des 40 dernières années environ, en raison du réchauffement climatique, la stratosphère s’est généralement refroidie et rétrécie. Le rayonnement sortant de la surface restait piégé dans la troposphère par les gaz à effet de serre.

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Or selon de nouvelles recherches menées par le Laboratoire des sciences chimiques de la NOAA, une multiplication par 10 des lancements de fusées est attendue au cours des 20 prochaines années : pour le tourisme spatial, les missions lunaires et l’exploration du système solaire. Dans ce scénario, suffisamment de carbone noir pourrait être injecté dans la stratosphère chaque année pour augmenter les températures stratosphériques mondiales de 0,5 à 2 °C.

On s’attend à ce qu’une telle élévation de température provoque des changements significatifs dans les conditions météorologiques, ralentissant le courant-jet subtropical et affaiblissant la circulation de renversement stratosphérique — la circulation à grande échelle de l’air à travers la stratosphère qui fournit de la chaleur et de l’humidité aux pôles.

Cependant, une plus grande préoccupation reste l’impact que cela aura probablement sur la couche d’ozone stratosphérique.

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La fusée d’appoint Falcon Heavy monte vers l’espace lors de son lancement d’essai le 6 février 2018. (EspaceX)

Dans leur modélisation, les chercheurs ont découvert que la multiplication par 10 de la suie entraînerait un amincissement de la couche d’ozone au-dessus de l’hémisphère Nord presque toute l’année. Cette perte a culminé à 4 % d’ozone au-dessus du pôle Nord au milieu de l’été.

Mais en utilisant leur modèle avec des émissions encore plus élevées, en se basant sur une augmentation des lancements entre 30 et 100 fois, les pertes d’ozone s’avéraient encore plus importantes.

« En fin de compte, l’augmentation prévue des lancements de fusées pourrait exposer les habitants de l’hémisphère Nord à une augmentation des rayons UV nocifs », a déclaré Christopher Maloney, auteur principal de l’étude du Laboratoire des sciences chimiques de la NOAA.

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La source de carbone noir résultant de ces lancements de fusées provient des carburants employés pour atteindre l’espace.

Des fusées comme New Shepard de Blue Origin, actuellement utilisées pour envoyer des touristes spatiaux au-dessus de la ligne Karman, ne sont pas un problème en ce qui concerne les émissions de carbone noir. Les moteurs BE-3 de ces fusées brûlent proprement, en utilisant une combinaison d’hydrogène liquide et d’oxygène liquide, qui ne produit que de la vapeur d’eau. L’injection de vapeur d’eau dans la haute atmosphère a ses propres impacts. Mais, elle ne contribue pas à l’effet étudié par les chercheurs.

Cependant, toutes les fusées ne peuvent pas brûler un mélange de carburant aussi propre. Cela dépend de la quantité d’énergie produite. Lancer une petite capsule avec une demi-douzaine de personnes à 100 kilomètres en ligne droite nécessite beaucoup moins d’énergie que de propulser un satellite de communication sur une orbite stable ou d’envoyer un vaisseau spatial sur la Lune ou sur Mars. Pour ces missions, les fusées utilisent une certaine forme de combustible fossile.

Le kérosène de qualité fusée (RP-1) brûlé par les moteurs Merlin alimentant les fusées Falcon 9 de SpaceX produit une suie abondante. Il en va aussi pour les moteurs dits hybrides, comme celui utilisé par l’avion spatial SpaceshipTwo de Virgin Galactic, qui associent un combustible solide à un comburant liquide ou gazeux.

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Les 9 moteurs Merlin de ce propulseur de fusée SpaceX Falcon 9 sont exposés ici, sur cette photo du Kennedy Space Center en 2019. (NASA/Austin Lowery)

Les moteurs eux-mêmes jouent également un rôle important dans la quantité de suie produite. Deux moteurs différents brûlant exactement le même carburant peuvent produire des émissions de suie très différentes selon la conception exacte.

Que ce soit pour des raisons de commodité, de moindre coût ou de préoccupation environnementale, certaines sociétés de lancement spatial gèrent elles-mêmes ce problème. Les moteurs Raptor utilisés par SpaceX pour tester leur booster Starship brûlent une combinaison d’oxygène liquide et de méthane liquide. Les moteurs BE-4 de Blue Origin, destinés à être utilisés sur leur fusée New Glenn, utiliseront un mélange similaire d’oxygène liquide et de gaz naturel liquéfié (GNL). Bien que le méthane et le GNL soient encore des combustibles fossiles, ils brûlent beaucoup plus proprement que le kérosène ou les combustibles solides. On s’attend également à ce qu’ils produisent moins de carbone noir.

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Pour le moment, la NOAA affirme que cette étude n’est qu’une première étape et que des recherches supplémentaires sont nécessaires.

Les scientifiques ont besoin d’avoir une meilleure idée de la quantité exacte de suie produite par les différents moteurs de fusée, des fusées elles-mêmes et des types de carburant. Ces recherches mettent également en évidence le nombre croissant de satellites brûlant lors de leur retour de l’espace, ce qui peut représenter une source supplémentaire de suie dans la haute atmosphère. Avec une meilleure idée de la quantité de suie émise dans la stratosphère actuellement et des émissions susceptibles de se produire à l’avenir, les chercheurs pourront mieux évaluer les dangers pour l’environnement et la santé humaine.

« Nous devons en savoir plus sur l’impact potentiel des moteurs à hydrocarbures sur la stratosphère et sur le climat à la surface de la Terre », a déclaré Maloney. « Les impacts relatifs des différents types de fusées sur le climat et l’ozone devraient être mieux compris grâce à des recherches supplémentaires. »

Adapté d'un article de Scott Sutherland, rédacteur scientifique et météorologue à The Weather Network.

Bannière : Le rover Mars 2020 Perseverance de la NASA est lancé depuis Cap Canaveral le 30 juillet 2020. (NASA TV)