Une électricité canadienne propre d'ici 2035 est réaliste et payante

Les Canadiens veulent un réseau électrique zéro-émission, mais des défis politiques se dressent à l'horizon.

Un puissant derecho, qui a laissé des milliers de personnes sans électricité à travers l'Ontario et le Québec le 21 mai dernier, est un cuisant rappel de l'importance de l'électricité dans nos vies quotidiennes.

En étant organisées en un réseau décentralisé alimenté par des énergies renouvelables, les infrastructures électriques du pays pourraient être plus résilientes et n'émettre aucun gaz à effet de serre, suggère une récente étude menée par la Fondation David Suzuki. Un tel système pourrait également garantir l'abordabilité de l'énergie, selon le même rapport, publié en mai 2022.

Si le projet paraît ambitieux, on pourrait tout de même le voir devenir réalité dès 2035 en investissant dans les énergies éolienne et solaire, en augmentant les capacités de stockage, en améliorant l'efficacité énergétique des bâtiments et en modernisant les réseaux électriques provinciaux. Ce faisant, la nécessité de capturer ou de compenser le carbone serait pratiquement inexistante, conclut l'étude.

D'un même élan, l'énergie nucléaire et le gaz naturel seraient également dépassés. « Le soleil et le vent sont les moyens les moins chers de l'Histoire pour produire de l'électricité », mentionne le coauteur de l'étude et ingénieur mécanique Stephen Thomas, qui œuvre également à titre d'analyste de politiques climatiques à la Fondation David Suzuki.

« Aucune barrière technique ne s'oppose à la mise en place d'une électricité propre d'ici 2035 », a-t-il affirmé dans une entrevue accordée à The Weather Network. Cependant, des obstacles politiques et institutionnels considérables se dressent sur son chemin. Caroline Lee, co-auteure de l'étude de l'Institut climatique du Canada portant sur une électricité propre intitulée Volte-face, partage cette opinion.

Plusieurs pays doivent faire face à des enjeux similaires, et une bonne partie ont réussi à trouver des solutions pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Après tout, les bénéfices sont immenses : l'amélioration de la qualité de l'air et de la santé globale des citoyens ; la création de près de 75 000 emplois annuellement ; et une diminution des coûts liés à l'électricité. De plus, les émissions de GES seraient réduites de près de 200 millions de tonnes par an d'ici 2050. Cela représente un peu plus du quart de la réduction nécessaire à l'atteinte des objectifs climatiques du Canada.

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Le déploiement d'un réseau électrique zéro-émission d'ici 2035 est l'une des mesures-phares du Plan de réduction des émissions pour 2030. En ce moment, près de 80 % de l'électricité du pays est produite grâce à des ressources non émettrices de carbone, dont 15 % sont d'origine nucléaire. Le 20 % restant est la proportion qui retient l'attention.

La quantité d'énergie solaire et éolienne devra être multipliée par 18 d'ici 2050 pour combler ce manque et éliminer complètement le nucléaire de l'équation. « Cette solution nécessiterait la création de projets de construction d’énergie éolienne et solaire à un rythme annuel moyen jamais vu au Canada : il faudrait construire chaque année en moyenne plus de 2 200 nouvelles éoliennes de 4 MW et plus de 160 nouveaux parcs solaires de 10 MW. Le transport interprovincial devra également être développé à un rythme sans précédent », estime l'étude.

Et le nucléaire?

Le rapport de la Fondation David Suzuki met de l'avant une mise à l'écart de l'énergie nucléaire pour atteindre les cibles climatiques. Les coûts de rénovations exorbitants des centrales existantes et la fermeture adéquate de celles qui ne sont plus fonctionnelles, de même que la disposition des déchets radioactifs, sont des inconvénients majeurs de ce type d'énergie. Les ressources renouvelables restent plus profitables à long terme, conclut la recherche.

Le travail mené par Caroline Lee est similaire à celui de la Fondation, et les conclusions sont sensiblement les mêmes. Seules différences entre les deux rapports : l'élimination du nucléaire, une diminution de l'hydro-électricité et la mise de côté des stratégies de compensation et de stockage de carbone.

« Chaque approche a des forces et des faiblesses. Tout demeure possible, mais nous avons besoin d'une grande réflexion collective au sujet du type de système électrique que nous souhaitons », explique Caroline Lee. Elle ajoute que ce débat doit prendre forme immédiatement dans l'espace public en raison de la somme considérable de travail qu'il reste à faire. Pratiquement toutes les nouvelles infrastructures énergétiques doivent soit être éoliennes ou solaires, soit pouvoir stocker l'électricité, pour atteindre l'objectif de 2035, estime-t-elle.

Le Canada devrait mettre les gaz afin d'atteindre une production 100 % renouvelable d'ici 2035, estime Mark Jacobson, ingénieur et professeur à l'université Stanford. « Le Canada a tellement de ressources naturelles renouvelables. C'est l'un des pays où une transition complète serait la plus facile à mettre en place, croit-il. Le pays est à la traîne. Les Canadiens souhaitent ardemment pouvoir profiter d'un système zéro-émission tout en mettant l'accent sur des solutions concrètes. »

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Au cours de la dernière décennie, l'expert a participé à bon nombre d'études sur l'énergie propre. Une des dernières en liste, A Solution to Global Warming, Air Pollution, and Energy Insecurity for Canada, considère d'ailleurs que 2035 est la date limite la plus avantageuse afin de limiter la pollution et de réduire les émissions de GES tout en profitant d'un coût de production plus bas. Il inclut également l'utilisation d'énergie éolienne en mer et de panneaux solaires installés sur les toits, ce que la Fondation David Suzuki ne met pas vraiment de l'avant.

« Notre rapport est conservateur. Tout est possible », acquiesce Stephen Thomas.

Comment faire?

Dans tous les cas, aucun chemin menant à la carboneutralité d'ici 2050 ne peut omettre un réseau électrique zéro-émission. Voici quelques exemples de recommandations formulées par la Fondation David Suzuki :

  • Mettre en place différents programmes de formation, notamment en ce qui a trait à la construction et à la rénovation durables de bâtiments;

  • Prioriser l'efficacité énergétique à travers des réglementations, comme le Code du bâtiment;

  • S'assurer que tous les citoyens sont adéquatement informés sur les questions de l'énergie;

  • Créer une stratégie nationale afin de garantir un accès équitable à l'énergie;

  • Adopter des mesures fédérales et provinciales claires et affirmées, nécessaires à la transition vers une électricité propre d'ici 2035;

  • Permettre aux communautés autochtones de participer aux processus tout en respectant leurs droits et leur liberté.

Adapté d'un article de Stephen Leahy de TWN. Image d'en-tête : ferme éolienne en Alberta (courtoisie : Don White/ E+/ Getty Images)