L’après COP27 : cibler les villes pour accélérer la réduction des émissions

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Une lecture des constats et des recommandations du GIEC concernant le rôle que les villes peuvent jouer pour aider les États à accélérer la réduction des émissions de GES mondiales, par Juste Rajaonson de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Pour la 27e fois depuis 1992, la communauté internationale s’est réunie afin de prendre des mesures pour ralentir le changement climatique et atténuer ses effets. Entre-temps, les émissions de GES mondiales générées par les activités humaines, qui en sont la principale cause, n’ont jamais véritablement cessé d’augmenter à l’échelle mondiale.

Il y a 30 ans, elles étaient de 38 GtCO2eq, dont environ la moitié générée dans les villes. Aujourd’hui, elles s’élèvent à 59 GtCO2eq dont 67 % générées dans les villes.

Ce constat laisse supposer que les actions climatiques négociées et mises en place par les États depuis maintenant trois décennies sont soit insuffisantes, soit trop lentes à se matérialiser.

Pour accélérer la réduction des émissions de GES, le plus récent volume du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) propose aux États de nombreuses mesures en matière d’atténuation du changement climatique. Le rapport y consacre un chapitre complet sur les villes, où se concentre la majorité de la population mondiale et des activités humaines.

Professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, l'auteur propose dans cet article une lecture des constats et des recommandations du GIEC concernant le rôle que les villes peuvent jouer pour aider les États à accélérer la réduction des émissions de GES mondiales.

Les constats de départ du GIEC sur les villes

Pour justifier l’importance pour les États de soutenir les villes dans leurs actions climatiques, les travaux du GIEC partent de trois constats principaux.

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Premièrement, d’ici 2050, les villes accueilleront 2,5 milliards de personnes de plus dans le monde, et les points de pression de cette croissance seront inégalement répartis dans chaque pays. Dans les pays et les États à revenu élevé comme le Canada, le Québec et la France, la majorité de cette croissance démographique urbaine se produira principalement dans les villes de moins de 300 000 habitants. Ces dernières devront alors être prêtes à accueillir un flux relativement élevé de population en très peu de temps. On observe déjà cette croissance progresser au Canada, au Québec et en France, où les villes les plus attractives sont surtout les villes de taille moyenne, selon les statistiques démographiques les plus récentes.

Deuxièmement, devant cette croissance imminente de la population urbaine dans ces villes, de nouveaux espaces devront inévitablement être urbanisés afin de répondre aux nouveaux besoins de logements, d’infrastructures et de services publics. L’ampleur de cette expansion au détriment d’espaces naturels et de milieux agricoles dépendra cependant de choix politiques. Si l’on se base sur le rythme actuel de croissance des villes dans le monde, on parle d’une expansion d’environ 2,2 millions de kilomètres carrés d’ici 2050, soit une augmentation de 106 % des espaces urbanisés à l’échelle mondiale. Cette expansion pourrait cependant être divisée par trois, dans un scénario où l’on privilégierait la compacité et la colocalisation des fonctions d’habitation, de travail et de loisirs.

Troisièmement, l’ampleur de l’expansion des villes déterminera leur niveau d’émission de GES futur. Dans les villes qui deviendront plus étalées, moins denses et plus compartimentées, la consommation individuelle de ressources, d’énergie et, par conséquent, le niveau d’émissions de GES, continueront de croître de façon substantielle. À l’inverse, les besoins en ressources, en énergie et, par conséquent, les émissions de GES, seraient plus faibles dans les villes qui miseront sur la compacité et la colocalisation des fonctions urbaines.

En ciblant les villes, les opportunités de réduction de GES mondiales seraient donc substantielles pour les États. Comme expliqué ci-dessous, les mesures à mettre en place devront cependant être plus ambitieuses, contextualisées et mieux coordonnées entre les villes et leur région.

Des mesures plus ambitieuses

Il est logique pour les États de cibler les secteurs d’activité les plus polluants, comme les transports et les bâtiments. Mais fondamentalement, il faudra surtout s’attaquer aux verrous carbones qui empêchent de créer une société à faible émission de GES. On parle ici des choix politiques qui créent un cercle vicieux de dépendance aux énergies fossiles.

Prenons le manque d’alternatives en matière de transports publics qui incite de plus en plus de personnes à posséder une voiture, ce qui a pour effet d’augmenter le nombre d’automobilistes sur les routes. Comme de plus en plus de voyageurs choisissent de conduire, les routes deviennent plus encombrées. Cette congestion devient alors un motif pour les gouvernements d’élargir les routes, ce qui a pour effet d’augmenter encore le nombre d’automobilistes. C’est ainsi que le cercle vicieux se perpétue. Pour s’attaquer à ce genre de verrous, les alternatives à faible émission de GES doivent être créées dès que possible, même si la demande n’est pas encore suffisante pour les justifier. La demande suivra, mais à condition que les alternatives proposées soient de grande qualité.

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Il est également logique de soutenir le développement de technologies propres pour réduire l’empreinte carbone des activités économiques. Mais fondamentalement, il faudra aussi s’attaquer à la forme urbaine, c’est-à-dire à la façon dont on organise les territoires urbains. Il n’existe pas de preuves scientifiques suffisantes démontrant que la compacité nuit à la qualité de vie dans les villes. Au contraire, lorsqu’elles sont bien aménagées et adaptées à la réalité locale, qu’elles bénéficient d’un réseau de transport collectif efficace pour tous et qu’elles accordent de la place aux infrastructures vertes et bleues, les villes compactes où les activités sociales et économiques sont intégrées génèrent plus équitablement de la richesse. Elles attirent également plus de ménages et d’activités sociales et économiques et favorisent l’émergence d’initiatives citoyennes innovantes et inclusives.

Des mesures contextualisées

Une façon pour les États de soutenir les villes dans la réduction des émissions de GES est d’adopter une politique urbaine nationale qui vise à leur fournir des moyens à la hauteur de leurs ambitions. Pour être efficace, toute politique urbaine nationale devra cependant prendre en considération les spécificités des villes de taille et de caractéristiques différentes. Car une stratégie qui fonctionne dans une ville ne fonctionne pas nécessairement dans une autre, en raison de caractéristiques et de problèmes qui lui sont propres.

Par exemple, les villes établies, comme Paris, Québec ou Montréal, où les espaces urbains sont déjà relativement saturés, auront leur propre manière de réaliser les plus grandes réductions d’émissions de GES. Comment? En remplaçant, réaffectant ou modernisant les bâtiments existants pour accroître leur efficacité énergétique, en améliorant la qualité, l’accessibilité, la vitesse et la fréquence des systèmes de transport public, en électrifiant le système énergétique urbain, ainsi qu’en exploitant les terrains vacants à des fins d’habitation. Toutefois, cela doit être fait avec précaution, pour éviter les effets secondaires tels que l’augmentation des coûts d’habitation dans la ville. Les gains d’efficacité énergétique seraient alors annulés par le déplacement des populations en dehors de la ville, ce qui augmenterait les distances à parcourir et leurs besoins en transport, en énergie et en ressources.

Les villes en forte croissance, dont la majorité est située à proximité des villes établies, et qui ont vu leur population augmenter rapidement au cours des dernières années peuvent éviter de devenir des sources d’émissions de GES élevées de plusieurs manières. Par exemple, en adoptant des politiques d’écofiscalité pour encourager la colocalisation des lieux de travail et d’habitation et pour obtenir à long terme une forme urbaine compacte. Elles se doivent également de passer aux technologies à faible émission de carbone dans tous les nouveaux équipements et services publics, y compris pour la gestion des matières résiduelles, de l’énergie et de l’eau ainsi qu’en préservant les actifs verts et bleus existants.

Les villes en émergence, souvent situées en périphérie, peu dense et avec une démographie stagnante ou en décroissance, détiennent un potentiel inégalé de devenir des zones urbaines à émissions faibles ou nettes nulles, tout en atteignant une qualité de vie élevée. Elles devront préserver et gérer les actifs verts et bleus existants en promouvant les usages mixtes qui répondent aux besoins des résidents, des entreprises et des touristes. Elles devront consolider les zones les plus denses autour des rues principales et des noyaux villageois et concentrer leur développement autour des pôles de transport public (gare de train, station d’autobus).

Des mesures mieux coordonnées entre les villes et leur région

À mesure que les villes emboîtent le pas du développement durable urbain, les États devront veiller à la cohésion des efforts municipaux déployés pour s’assurer qu’une baisse d’émissions de GES dans une ville donnée ne soit pas à l’origine d’une hausse de ces émissions dans les autres juridictions.

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Cette cohésion est également essentielle entre les villes et leur région, car les villes constituent les destinations finales de la grande majorité des ressources exploitées et des produits fabriqués provenant de milieux ruraux, voire de régions ou de pays limitrophes.

Cet article de Juste Rajaonson, professeur en études urbaines à l'UQAM, est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.