Le castor, champion du climat

Julie PerreaultRédactrice

Autrefois chassé et piégé jusqu’à la quasi-extinction, le castor – un symbole national du Canada – est un chouchou parmi les chercheurs pour sa capacité à aider à prévenir les sécheresses, les incendies et les inondations.

Faits saillants:

  • Les castors aident à maintenir la végétation bien verte autour de leurs barrages.

  • Cette humidité aide à protèger ces zones des feux de forêt.

  • Les castors aident aussi à prévenir l’érosion des berges, et même à remplir les nappes d’eau souterraines.

Pierre Bolduc relie une chaîne attachée à un amas de peupliers avec son quad avant de traîner celui-ci jusqu’au bord de l’étang de sa propriété.

Le bois était gratuit : un sous-produit de la gestion forestière dans les boisés fournis entourant sa maison de l’arrière-pays, près de Bragg Creek, en Alberta. Il s’agit d’un cadeau très apprécié pour les « locataires » à fourrure qui y ont construit une petite maison sur sa propriété.

« D’ici demain matin, toutes ces branches seront au fond de l’étang à côté de la hutte des castors », a-t-il déclaré, tout en montrant un gros tas de bâtons surgissant au milieu de l’eau.

Les arbres constituent une forme de paiement partiel envers les castors en échange des nombreux avantages que la famille de rongeurs a apportés à sa propriété au fil des ans. Une relation qui a commencé après l’appel d’un voisin fermier.

« Ils allaient leur tirer dessus. Donc, soit il fallait qu’ils déménagent, s’installent chez moi et soient aimés et nourris, ou ils allaient se faire tirer dessus », a déclaré le pilote à la retraite des Forces canadiennes, qui avait de l’expérience dans le piégeage d’animaux sauvages depuis son enfance.

M. Bolduc pensait que les castors seraient un complément parfait à sa démarche environnementale entreprise en 2010 après avoir quitté Trenton, en Ontario, pour s’installer en Alberta. Les rongeurs ont apporté de l’eau – assez pour former un immense étang qui peut servir de patinoire de hockey parfaite en hiver pour ses deux enfants. Mais, ils ont apporté tellement plus.

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Pierre Bolduc stands near the pond that was once a stream on his Alberta property. His goal is to be completely self-sustainable, which has led him to be one of the largest residential producers of solar energy in Canada. His next plan is to set up a micro-green operation in the hidden compartment of his garage, which he also uses to design art projects with a climate change message. (Rachel Maclean)

Pierre Bolduc se tient près de l’étang des castors, qui était autrefois un ruisseau sur sa propriété albertaine. (Rachel Maclean)

« Je suis l’un des chanceux de la vallée ici, qui dispose encore d’une quantité importante d’eau pour mon puits. Et, je dois remercier les castors, car avant qu’ils n’arrivent, j’avais l’habitude de manquer d’eau, ce qui est une chose terrible.

Après avoir utilisé son piège fait maison pour amener les castors sur ses terres, il a installé un lecteur de CD à énergie solaire. Celui-ci diffusait les sons d’un ruisseau près du petit ruisseau sur sa propriété. Cela a incité les castors à se mettre au travail. « C’est la raison pour laquelle le barrage est si droit, c’est parce qu’il y avait une lignée de haut-parleurs là-bas, a renchéri ce dernier. »

Le barrage a fait monter le niveau de l’aquifère – terrain perméable où s’accumule une nappe d’eau souterraine – d’au moins deux mètres et demi sur sa propriété. Ceci a également fait monter le niveau de son puits. « Si vous me demandez si j’aime les castors. Oui, absolument, je les adore! Parce qu’ils m’ont aidé avec mon problème d’eau, indique M. Bolduc. »

Des bienfaits pour tous

Les castors ont même aidé la municipalité, puisque les employés n’ont plus à venir déblayer certains ponceaux à proximité.

L’élévation du niveau d’eau s’est aussi révélée bénéfique en cas d’incendie de forêt, étant donné que l’étang a créé un environnement luxuriant plus résistant aux flammes. M. Bolduc a d’ailleurs installé un tuyau d’incendie à proximité afin que l’eau de l’étang puisse être utilisée pour combattre les incendies. C’est que sa propriété est à environ 50 minutes de la caserne de pompiers la plus proche. Pour M. Bolduc, il ne fait aucun doute que ses locataires représentent « un allié incroyable pour la nature. » Il s’avère que de nouvelles recherches appuient ses découvertes.

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La science des castors

« L’une de mes grandes découvertes est que les constructions des castors sont uniques. Elles sont capables de résister presque entièrement aux effets de la sécheresse, ce qui les aide également à résister aux feux de forêt », a déclaré Emily Fairfax, professeure adjointe de sciences de l’environnement et de gestion des ressources à l’Université d’État de la Californie à Channel Islands, à The Weather Network.

Son ouvrage n’est que l’une des nombreuses études publiées l’année dernière sur les avantages de faire participer les castors aux projets de résilience, à l’ère des changements climatiques. Celles-ci ont d’ailleurs permis de mettre en lumière la contribution de ces petites bêtes à la réduction des inondations et au refroidissement des températures dans les cours d’eau d’amont.

« Lorsque vous avez une période de sécheresse et que tout commence à se ratatiner et à se flétrir, les constructions des castors permettent de stocker suffisamment d’eau pour que les plantes restent vertes et luxuriantes, indique Mme Fairfax. »

« Donc, chaque fois que vous avez un castor et qu’il construit un barrage, cela permet de ralentir l’eau. Ce qui permet à celle-ci de s’infiltrer dans le sol, de faire pousser un tas de végétation et de garder cette végétation saine pendant les sécheresses et les incendies. »

The beaver dam located on the left in the above photo helped stem the damage from a wildfire in California. (esajournals.onlinelibrary.wiley.com)

Le barrage de castor situé à gauche sur la photo ci-dessus a contribué à freiner les dégâts d’un incendie de forêt en Californie. (Source: Ecological Society of America)

« Si vous avez des inondations, les barrages peuvent également aider à atténuer l’onde de crue et l’eau dans le paysage, la rendant ainsi moins érosive en aval. Et tout cela mis ensemble, vraiment, c’est juste très complexe sur le plan hydrologique, a-t-elle ajouté. »

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Bien que cela puisse sembler un peu chaotique, ce désordre contribue à rendre les rivières et les ruisseaux résistants à toutes sortes de perturbations, et même à les restaurer. Par exemple, après un incendie de forêt, où de nombreuses pentes de collines ont été brûlées intensément, il y a des cendres et des sédiments qui se déversent ensuite dans les ruisseaux.

« Lorsque les sédiments atteignent cet étang de castors, l’eau est si lente qu’une grande partie des cendres et des sédiments se dépose simplement. Cela permet ainsi d’aider à la reconstruction et à la reconnexion à sa plaine inondable encore plus rapidement. Cela le règle simplement et en fait en partie de la boue, indique Mme Fairfax. »

Stocker toute cette eau peut également aider à refroidir. Durant les étés chauds, les barrages de castors fournissent des bassins profonds qui peuvent se mélanger à des cours d’eau ou des rapides moins profonds.

« Dans ces étendues profondes, vous avez ces refuges thermiques, ou essentiellement des zones froides dans lesquelles les poissons peuvent vivre et patienter durant les jours les plus chauds de l’année, explique la professeure. » « Le barrage redirige également l’eau vers le sol où elle peut se mélanger à l’eau souterraine. Nous avons donc cette eau de surface, qui est un peu plus chaude, qui se mélange à cette eau souterraine, qui est un peu plus froide. Cela donne pour résultat que l’eau qui remonte et rejoint le ruisseau plus tard est globalement un peu plus froide. »

Comment faire revenir les castors

Plus gros rongeur d’Amérique du Nord, le castor est souvent considéré comme un ravageur à détruire – ce qui est tout à fait légal par exemple, en Alberta sur une propriété privée ou avec un permis de contrôle des dommages sur les terres publiques. Certains agriculteurs, et même des villes telles que Calgary, les ont toujours piégés lorsque certains de leurs congénères se sont installés dans des zones indésirables.

« Je pense qu’il est un peu difficile d’imaginer à quoi ressemblerait le continent s’il était entièrement ‘re-castoriséˮ, et que ceux-ci étaient de retour à leurs chiffres historiques. Avant la traite des fourrures et la colonisation, il y avait entre 100 et 400 millions de castors en Amérique du Nord. Et après, nous sommes tombés à environ 10 à 30 millions, soit 10 % de la population historique, mentionne Mme Fairfax. »

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Emily Fairfax operates a drone while conducting some field research on one of her many trips to observe beavers in their natural habitat. She says if beavers can bring a little hope with all the doom and gloom that climate change brings, they are certainly climate heroes in her book. (Submitted by Emily Fairfax)

Mme Fairfax utilise un drone tout en menant des recherches sur le terrain, lors de l’un de ses nombreux voyages pour observer les castors dans leur habitat naturel. (Source : Emily Fairfax)

« Et si vous voyez ces constructions de castors qui s’étendent dans le paysage et vous vous dites : ˮWow, c’est énorme!”. Imaginez cela multiplié par 10. Ce n’est pas juste comme : “Oh, un petit ruisseau a été changéˮ. C’est vraiment le bassin versant qui a été modifié. »

Selon Mme Fairfax, il existe plusieurs façons de ramener les castors de manière qu’il y ait moins de conflits avec les humains. Notamment, en créant un bon habitat à l’endroit où vous voulez qu’ils construisent.

« Si vous avez des castors dans des zones de conflit très intenses et que toute coexistence a échoué, vous pouvez essayer de le relocaliser dans l’un des nombreux endroits où il sera le bienvenu, indique Mme Fairfax. »

‘La relocalisation n’est certainement pas une garantie. Mais si ce castor était de toute façon voué à être chassé, autant essayer de le laisser s’établir dans un bassin versant où il est plus éloigné des conflits humains. »

M. Bolduc est bien d’accord. « Ils font de la magie, dit-il. Nous avons besoin d’eux pour atténuer le stress que nous mettons sur l’écosystème en maintenant une relation amicale avec eux. »

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Image bannière : Un castor grignote un bâton près de la maison le long d’une rivière à Calgary. (Kyle Brittain)

D’après les informations de Rachel Maclean, productrice médias sociaux à The Weather Network.