Le réchauffement climatique modifie la forêt boréale et la toundra canadiennes

La ConversationCollaboration spéciale
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Les effets des changements climatiques sur la forêt boréale canadienne sont complexes. Konrad Gajewski, professeur au département de géographie, environnement et géomatique à l'Université d'Ottawa, nous explique.

Le réchauffement climatique a des effets sur la forêt boréale – l’évolution de la situation dépendra du climat, de la végétation et de la fréquence et de l’intensité des feux de forêt. Le Nord peut connaître différents changements, comme une augmentation et une diminution de la croissance des feuilles, appelées verdissement et brunissement arctiques, une croissance accrue des arbustes et un déplacement de la limite des arbres. C’est l’interaction entre le feu, le climat et le temps qui détermine la nature de la toundra forestière d’aujourd’hui et la façon dont elle évolue en réponse à la variabilité climatique.

Paysages qui s’enflamment et fronts météorologiques

Les incendies constituent un élément important de la région boréale, car ils brûlent les vieux arbres et permettent la régénération de la forêt. Après un feu, les arbustes et les arbres feuillus poussent rapidement et forment la canopée, avant d’être remplacés par des épinettes à croissance plus lente. Il en résulte un paysage constitué d’une mosaïque de parcelles, chacune de la taille d’un incendie.

Une augmentation du nombre d’incendies pourrait faire en sorte qu’une plus grande partie du paysage se trouve à un stade précoce de la croissance post-incendie, avec notamment des arbustes et des arbres feuillus qui sont moins inflammables. À l’heure actuelle, la forêt est davantage inflammable, car le passé récent fait en sorte que le paysage est majoritairement dominé par les épinettes.

Séquelles d'un incendie récent Konrad Gajewski Conversation

On peut voir à l’arrière-plan les séquelles d’un incendie récent. (Source : Konrad Gajewski)

La nature de la toundra forestière dépend de la variabilité de la position du front arctique et de l’historique des feux de forêt de la région, mais aussi de son histoire des derniers millénaires.

La toundra forestière québécoise

La limite des arbres, c’est-à-dire l’endroit où la forêt rencontre la toundra, peut s’étendre sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres. Son emplacement correspond à la position moyenne du front arctique – une zone de transition entre une masse d’air arctique froide et de l’air plus chaud.

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Dans le nord du Québec, la zone de toundra forestière est vaste. Dans la pessière à lichens, les arbres croissent sur l’ensemble du territoire. Après un incendie, les arbres repoussent, car la saison de croissance est suffisamment longue pour permettre aux jeunes plants de survivre.

Plus au nord, le sommet des collines n’a plus d’arbres et l’altitude où commence la végétation de la toundra est de plus en plus basse, couvrant de plus en plus le paysage. Les arbres poussent encore à basse altitude et se régénèrent après un incendie.

Si on continue vers le nord, la toundra couvre encore davantage le paysage, et les épinettes ne poussent plus qu’autour des lacs ou dans les vallées. Elles prennent une forme rabougrie, qu’on appelle krummholz, car leur croissance est ralentie par les conditions froides et venteuses. Les épinettes adoptent cette forme arbustive lorsqu’elles sont soumises à un stress, les branches restant près du sol et seules quelques pousses dépassant le niveau de la neige.

Krummholz dans le nord du Québec. Konrad Gajewski Conversation

Épinettes dans une colonie de krummholz dans le nord du Québec. (Source : Konrad Gajewski)

Une petite colonie de krummholz peut se maintenir pendant des siècles dans des conditions qui ne sont pas optimales. Après un incendie, les épinettes meurent et il n’y a pas de reproduction, de sorte qu’au fil des siècles, cette zone devient progressivement déboisée. Toutefois, si le climat change favorablement, les arbres reprennent une croissance normale et peuvent établir de nouvelles populations par le biais de graines.

Histoire des changements climatiques

De longues périodes de refroidissement ou de réchauffement entraînent le déplacement de différentes zones vers le sud ou vers le nord. Quand le climat se réchauffe, les arbres poussent plus au nord, ce qui n’est pas le cas pendant les périodes froides.

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Lorsque la calotte glaciaire qui recouvrait la quasi-totalité du Canada a fondu, il y a entre 20 000 et 6 000 ans, les plantes ont migré vers le nord. Dans la région du delta du Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest, la glace s’est retirée relativement tôt et les arbres sont arrivés il y a plus de 10 000 ans.

À mesure que la calotte glaciaire poursuivait sa fonte, dénudant le centre du Canada, le climat se refroidissait dans le nord du Yukon et dans la région du delta du Mackenzie, mais se réchauffait dans le centre du Canada, il y a entre 8 000 et 5 000 ans. Les arbres ne pouvant survivre dans la région la plus au nord du delta du Mackenzie, la limite des arbres s’est déplacée vers le sud. Dans la partie centrale du Canada, les arbres pouvaient désormais pousser plus au nord. Plus tard, lorsque la glace a disparu au Québec, les arbres y ont migré vers le nord. Ce mouvement a été rapide, et les changements dans les différentes régions se sont produits de manière synchronisée, mais déphasée.

Toundra forestière Konrad Gajewski

La toundra forestière (limite des arbres) dans le nord du Québec. En haut à gauche : forêt à lichens. En haut à droite : sous-zone arborée du sud de la toundra forestière. En bas à gauche : sous-zone arbustive du nord de la toundra forestière. En bas à droite : toundra arbustive.

Migration des plantes et déplacement de la limite des arbres

La migration des plantes en réponse aux changements climatiques fonctionne de deux façons. Le réchauffement peut occasionner une lente migration vers le nord. Les graines sont dispersées loin de la plante mère et, si les conditions climatiques sont favorables, chaque génération peut s’établir un peu plus au nord. Comme le climat est toujours variable, ce phénomène se produit par à-coups.

Un deuxième mécanisme – plus important – est la migration sur une longue distance. Le transport de graines ou d’arbres entiers par les rivières, la neige ou la glace, ou par des oiseaux ou des animaux, permet une migration pouvant aller jusqu’à des milliers de kilomètres en très peu de temps. C’est ce qui semble s’être produit dans le passé, et ce processus assure une migration rapide vers de nouvelles zones sous l’effet d’un réchauffement climatique.

Réchauffement actuel

Au cours des 4 000 dernières années, un refroidissement de longue durée, appelé néoglaciation, est à l’origine de la nature de la toundra forestière d’aujourd’hui. Auparavant, les populations d’arbres étaient plus abondantes dans le nord du Québec. Avec le refroidissement, les arbres sont devenus des arbustes et ont cessé de se reproduire. Les incendies en ont éliminé une partie et, comme il n’y avait pas de reproduction, la région a pris son aspect actuel.

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Aujourd’hui, à mesure que le climat se réchauffe, les krummholz vont s’étendre, croître et se reproduire. Il existe donc une vaste zone que les arbres peuvent coloniser, ce qui laisse supposer que la limite des arbres pourrait se déplacer rapidement vers le nord. Le transport de graines sur de longues distances dans le nord du Canada permettra également une migration rapide.

Il convient toutefois de tenir compte de l’incidence relative du réchauffement climatique et de l’augmentation des incendies. Ainsi, le réchauffement actuel du nord du pays aura des effets complexes sur la végétation nordique, les régions n’y réagissant pas toutes de la même façon, certains processus se produisant rapidement et d’autres beaucoup plus tard.

Cet article de Konrad Gajewski, professeur au département de géographie, environnement et géomatique à l'Université d'Ottawa, est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image bannière : Panorama du lac Félix à Rivière-Koksoak au Nunavik (Martin Tuchscherer/Wikimedia)