Des milliards de crabes des neiges manquent à l’appel en Alaska

Les changements climatiques, la pêche abusive et les prises accessoires sont les causes probables de la disparition pas si mystérieuse de ces crustacés prisés.

Fruit de mer chouchou des Québécois, le crabe des neiges se retrouve aussi dans la mer de Béring au large de l’Alaska. L’industrie de la pêche au crabe est un pivot de l’économie de cet État : en 2020, les revenus de la pêche commerciale au crabe des neiges étaient évalués à 101,7 millions de dollars américains.

Mais voilà qu’une annonce crée une onde de choc dans l’industrie. Pour la première fois de l’histoire, la saison de pêche 2022-2023 vient d’être annulée par l’Alaska Board of Fisheries and North Pacific Fishery Management Council en raison d’une chute inquiétante de la population. La pêche au crabe royal a aussi été annulée à Bristol Bay pour la deuxième saison consécutive.

Snow crabs in a fish market. (Tessa57/ iStock/ Getty Images Plus)

Des crabes des neiges vendus au marché. (Source : Tessa57/ iStock/ Getty Images Plus)

L’effondrement de la population, qui est passée de 8 milliards en 2018 à seulement 1 milliard en 2021, a été confirmé par Benjamin Daly, un chercheur de l'Alaska Department of Fish and Game, dans une entrevue à CNN.

« Le crabe des neiges est l’espèce la plus abondante pêchée commercialement dans la mer de Béring. C’est un choc notable de voir la population réduite par plusieurs milliards, y compris toutes les femelles et leurs bébés. »

Les autorités pointent la pêche abusive du doigt. Cependant, des experts ont relevé d’autres facteurs importants.

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« La pêche excessive n’a pas causé cet effondrement, cela est clair » a affirmé Michael Litzow, directeur du laboratoire de NOAA Fisheries de Kodiak, à CNN.

A variety of crabs brought up in the net while out at sea. (Bobby Ware/ iStock/ Getty Images Plus)

Différents types de crabes dans un filet de pêche. (Source : Bobby Ware/ iStock/ Getty Images Plus)

Le cercle arctique se réchauffe encore plus rapidement que le reste du globe. Cela a un impact direct sur la mince bande d’habitat des crabes des neiges. Les crabes préfèrent les eaux juste au-dessus de 0 °C, une protection contre les prédateurs qui ne tolèrent pas la température glaciale. Avec le réchauffement climatique, ces régions diminuent d’année en année.

« Un épisode de chaleur importante en 2018-2019 a réduit leur habitat à une toute petite fraction de leur territoire habituel. Les jeunes crabes ont été poussés vers le nord, ils ont perdu un habitat critique qui les protège des prédateurs », a expliqué Philip Loring, anthropologue écologique et professeur à l’Université de Guelph, à The Weather Network.

« Les changements climatiques jouent un rôle, mais c’est seulement une partie. »

En plus de perdre son habitat, le crabe des neiges est souvent une prise accessoire, capturée par des pêcheurs qui ciblent d’autres espèces. « En 2019 et 2020, on a enregistré un nombre très élevé de prises accessoires. Pendant la même période, l’habitat qui protégeait les crabes des prédateurs a diminué, c’est un double choc. »

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La pêche abusive a aussi contribué à la disparition de la population de crabe des neiges en Alaska.

La pêche est réglementée pour limiter le nombre de captures en assurant le rendement maximal durable. Dépasser ce nombre pourrait mettre l’espèce en péril, les crabes n’étant plus en mesure de se reproduire en assez grand nombre pour compenser aux pertes.

Snow crab. (Alex Tugaw/ NOAA Fisheries)

Un crabe des neiges. (Source : Alex Tugaw/ NOAA Fisheries)

Selon Loring, cette tendance s’apparente à la disparition des bancs de morue de Terre-Neuve. En juillet 1992, le gouvernement fédéral a imposé un moratoire sur la pêche à la morue le long de la côte est en raison de l’effondrement de la population. Le secteur de la pêche a joué un rôle économique et culturel important pendant des siècles en Gaspésie et à Terre-Neuve-et-Labrador, et le moratoire a eu un impact dévastateur sur ces régions. Quelque 40 000 emplois ont disparu du jour au lendemain, ce qui en fait le plus grand licenciement de l’histoire du pays.

Plus de 30 ans ont passé depuis, mais le moratoire est toujours en cours. Pêches et Océans Canada estime que la population demeurera en zone critique jusqu’au moins 2024.

L’annonce de l’annulation de la saison a été accueillie avec stupeur et émoi sur les réseaux sociaux. Selon Loring, c’est signe que le public n’est pas au courant de l’état des stocks de poissons et crustacés.

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« Le message qu’on reçoit, c’est que l’industrie est administrée de manière responsable. C’est ce qu’on nous dit ici en Alaska. Mais là, on observe un effondrement de la population d’une espèce extrêmement importante pour notre économie, alors qu’on vit avec l’inflation, la récession, l’incertitude économique sur tous les fronts. Je ne suis pas surpris que les gens réagissent avec autant de surprise et d’émotion. »

La pêche au crabe des neiges dans la mer de Béring est administrée selon un plan établi par le gouvernement fédéral des États-Unis. Selon NOAA Fisheries, le secteur de la pêche en Alaska est un des mieux réglementés et des plus durables au monde. L’organisme cite les programmes de surveillance, de collecte de données et de recherche qui sont employés pour déterminer les limites de captures raisonnables tout en soutenant l’économie locale et nationale.

Malgré cet encadrement, certains membres de la communauté scientifique ont vu la crise venir de loin.

« Je ne suis pas surpris. J’avais le sentiment, partagé par plusieurs autres chercheurs dans le domaine, qu’un moment donné ça allait arriver à une industrie importante. Plusieurs d’entre nous avaient identifié le crabe des neiges comme une espèce qui pourrait s’effondrer en premier à cause des problèmes interconnectés des captures accessoires, des changements climatiques et de la surpêche » affirme Loring.

Il estime aussi que ces nouvelles problématiques vont perdurer et rendre la situation encore plus délicate, puisque nous n’avons pas de modèle à suivre pour résoudre la crise.

« Nous voyons maintenant des pêcheries dites durables, que les gens croyaient être réglementées de façon responsable en vertu du rendement maximal durable, qui éprouvent des difficultés. Je crois qu’il est temps de repenser notre niveau de confiance, ou notre excès de confiance, en notre définition de la pêche durable dans un monde où le climat change et n’est pas près de se stabiliser. »

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*D'après le texte d'Isabella O'Malley, reporter à The Weather Network. *

Image bannière : un crabe des neiges dans l'estuaire du Saint-Laurent. (LaSalle-Photo/ iStock/ Getty Images Plus)