Météorologue ET mordu de Tetris

Faire une entrevue avec un météorologue, c’est facile. Trouver du temps, entre deux tempêtes, c’est une autre histoire. Après quelques tentatives, je réussis à rencontrer mon collègue, Patrick Duplessis. Il m’attend assis bien sagement en studio. La météo est calme. On a le temps.

Il faut être animé par une réelle passion pour devenir météorologue. Il faut avoir le feu sacré. Parce que faire les prévisions au quotidien, c’est une vocation.

Patrick a cette aisance-là, de jongler avec les icônes météo, depuis très longtemps.

Faisons un retour en arrière. 1998. Crise du verglas. Pour certains, ç’a été un événement marquant. Pour Patrick, ç'a été un événement déterminant.

« J’avais reçu à Noël une radio-météo à batteries qui diffusait en boucle les prévisions et les observations d’Environnement Canada. Parce qu'on n'avait pas d’électricité et pas de télé, c'est moi qui, à 11 ans, informais ma famille de l’évolution de la situation. » - Patrick Duplessis, météorologue

L’année suivante, l’arrivée d’Internet change sa vie. À 12 ans, il découvre les modèles météorologiques. C’est durant cette période qu’il entre en contact avec d’autres passionnés de météo sur des forums de discussion. Il apprend beaucoup par lui-même. Il prend même sa famille en otage pour leur livrer ses dernières observations.

« Dans le sous-sol, j’avais un grand tableau blanc et c’est là que j’écrivais mes propres prévisions. Je me prenais pas mal au sérieux. Mon auditoire était mes parents et ma sœur. Ils m’écoutaient et posaient des questions. »

Aimer les chiffres et la météo, ce n’était pas in rendu au secondaire. Ç’a pris un moment avant que Patrick décide de s’assumer et d’aller faire son bac en sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM.

Il a même poussé l’aventure encore plus loin en allant faire sa maîtrise et son doctorat à l’Université d’Halifax en Nouvelle-Écosse.

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« Je suis content d’être passé par là parce que j’ai eu de belles opportunités. En 2016, j’ai passé 30 jours sur un bateau de recherche pour mesurer les aérosols marins dans l’Atlantique et on a passé dans le sillage de l’ouragan Matthew. J'étais terrifié de voir à quel point la mer pouvait se déchaîner. Heureusement, tout s’est bien passé, sinon je ne pourrais pas raconter l’histoire. (Rire) Et en 2018, je suis allé au pôle Nord sur un brise-glace pendant 51 jours pour mesurer essentiellement la même chose qu’en 2016. On était une équipe de 70 personnes complètement coupées du monde un peu comme dans un show de téléréalité. Ç’a vraiment été une expérience extraordinaire. Et maintenant, depuis 2021, je suis à MétéoMédia. »

Et justement, depuis qu’il est à MétéoMédia, qu’est-ce qu’il aime de son emploi en tant que météorologue et qu’est-ce qu’il aime moins?

« Parce que je suis un gars de chiffres, les records, les statistiques, c’est ce qui m'allume le plus. Je ne suis pas vraiment du genre à vouloir chasser les tornades. (Rire) Par exemple, quand il pleut, je me mets à penser, est-ce que le total de précipitations pour le mois est en train de monter, est-ce qu’on va battre un record. (Rire) Mon cerveau est beaucoup dans l’analyse. Et ce que j’aime le moins, c’est quand il fait beau. C’est plate. (Rire) »

Même si chasser des tornades n’est pas ce qu’il recherche, il a tout de même été confronté à l’humeur de Dame nature. Patrick s’en souvient.

« Un événement météorologique qui m’a marqué c’est en 2019. J'étais sorti au plus fort de la tempête quand l’ouragan Dorian a frappé la Nouvelle-Écosse. J’étais là. J’étais à Halifax. C’était pas sécuritaire, mais l’adrénaline nous fait parfois faire de drôle de choses. (Rire) Et j’ai vraiment été impressionné par la force de la nature. Je voyais les arbres déracinés, l’eau qui débordait sur la promenade, le parc qui était inondé. Et le vent. Wow! C’était impressionnant. »

Dans la vie, il y a des choses qui sont évidentes pour certaines personnes et pour d'autres, non. J’ai demandé à Patrick, c’est quoi être météorologue dans la tête des gens en comparaison à la réalité?

« Il y a beaucoup de gens qui pensent qu’on tire dans le tas, qu’on y va au hasard. Qu’on est la Jojo Savard de la météo. Mais la réalité est que la météo est une science. On est derrière notre ordinateur; on surveille les modèles; on fait de la vulgarisation; et notre rôle est d’expliquer les prévisions, et encore plus quand il y a de l’incertitude. C’est de dire aux gens ce qu’il va faire demain le plus précisément possible. Mais ça arrive qu’on se trompe. »

Comme dirait mon collègue Réjean : l'amour, c'est comme la météo; il n'y a jamais deux journées pareilles. Et la météo, bien qu’une science exacte, peut changer de direction selon la direction du vent et nous surprendre. (Rire) Mais justement, puisque parfois un météorologue se trompe dans ses prévisions, est-ce qu’il peut sentir une certaine pression de la part de la société?

« Oui. Je sens une certaine pression, surtout quand on est en météo active. Parce que c’est déjà arrivé que la balloune se dégonfle, que la tempête qu’on avait prédite n’arrive juste pas ou est moins intense que prévu. Et là, on se sent mal de s’être trompé. Et quand ça arrive, les commentaires sur les médias sociaux ne sont pas des plus gentils, mettons. C’est un travail qui parfois est difficile, tout dépendamment de la réception de la population. Ça peut être lourd. Il faut savoir prendre du recul. »

Quand il est au bureau, Patrick est devant son ordinateur, à suivre les modèles météorologiques. Quand il est à la maison, Patrick est aussi devant son ordinateur. Il s’amuse à suivre des yeux des formes géométriques colorées. Patrick est un passionné de Tetris.

« J’ai commencé à jouer quand j’avais sept ans. J’avais reçu le jeu à Noël 1993. Mais honnêtement, je pense que ma mère se l’était acheté pour elle et elle me l’a donné. (Rire) On a commencé à jouer ensemble. J’ai vraiment eu la piqûre. En 2019 j’ai commencé à streamer Tetris en ligne sur Twitch et c’est en regardant d’autres joueurs vraiment bons que je me suis dit que moi aussi je serai capable de faire ça. Et j’ai commencé à jouer à Tetris 99. Aujourd’hui j’ai plus de 2000 victoires à ce jeu-là. J'y ai mis des heures. (Rire) Et avec le temps, j’ai réussi à me créer une communauté qui me suit et qui me regarde jouer. »

« Depuis que je joue, une des plus belles rencontres que j'ai faites, c'était en 2019. Par un incroyable hasard, j'étais à Taiwan pour une conférence internationale sur le brouillard en même temps que Jonas Neubauer. Il a été sept fois champion du monde de Tetris classique de 2010 à 2017. Je l’ai croisé, car lui aussi était à Taipei pour participer à un championnat. Quand j’ai su ça, j'ai communiqué avec lui. Il a reçu mon message et on est allé dîner ensemble. On a parlé du jeu, de la communauté, du streaming et de nos vies. Malheureusement, un an et demi plus tard, il a perdu la vie subitement dans sa nouvelle résidence à Hawaï. Ce fut une rencontre très spéciale pour moi. Je me trouve chanceux d'avoir pu le rencontrer pendant que c'était encore possible. »

Et est-ce qu’il y a un lien entre les jeux vidéo et la science?

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« Le monde du gaming et le monde de la météo c’est complètement différent. Comme si j’avais deux personnalités. (Rire) Mais en même temps, il y a une ressemblance. Parce que tu dois analyser. Parfois les modèles météorologiques sont comme des puzzles. Tu dois assembler toutes les pièces pour obtenir tes prévisions. »

Si j’ai pris le temps de parler avec Patrick, pris le temps de le connaître autrement que dans le cadre de porte, c’est parce que le 5 février, c’est la Journée nationale des météorologues. Elle célèbre l’anniversaire de naissance de John Jeffries, l’un des premiers observateurs météorologiques aux États-Unis en 1744.

Et pour Patrick, elle représente quoi cette journée-là?

« C’est le fun d’avoir une journée dédiée à nous. Que l’on reconnaisse notre travail. Je ferai peut-être quelque chose de spécial le 5 février. J’irai m’acheter un p’tit cupcake. (Rire) »

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