Son handicap le sort de sa zone de confort

Sa vie a basculé en 1995. Il perd la vue à cause d’un accident de travail. 27 ans plus tard, son handicap est digéré et Frédéric Gauthier ne s’impose aucune limite.

L’air est doux, le soleil est bon et c’est chez lui, dans sa charmante maison de Mont-Saint-Hilaire que Frédéric m’a donné rendez-vous. Je sonne et il m’ouvre la porte avec son chien d’assistance sur les talons.

Un peu maladroite, je lui tends la main. On passe au salon et c’est là qu’il me raconte ce qu'il s’est passé en 95.

« J'étais camionneur et, sur la route, j'ai eu un pépin avec mon système de freinage. Il y a un frein sur la remorque qui a surchauffé. En allant voir, il y avait des flammes. J’ai voulu éteindre le feu avec mon extincteur et c’est là que le pneu a explosé. Fait que je suis devenu aveugle instantanément. J'ai perdu la vision de l'œil droit et l'œil gauche, après plusieurs opérations, les médecins ont réussi à me redonner un tout petit peu de vision. Ce qui est quand même très utile. » - Frédéric Gauthier

Frédéric ne me cache pas que les premières années ont été très difficiles. Mais à force de rencontrer des gens qui ont, eux aussi, un handicap visuel, ça lui a permis de dédramatiser la situation. De réaliser qu’il pouvait s’accomplir malgré tout et qu’il avait le potentiel pour le faire.

« Mon handicap m’a sorti de ma zone de confort. J’ai commencé à faire des choses que je n'aurais jamais pensé faire. Des choses qui ne m’attiraient pas avant et que je fais aujourd’hui. C'est bizarre, mais moi, c’est ce qui m'est arrivé. »

ESSAYE, TU VAS VOIR

Quand j’écoute Frédéric me dire tout ce qu'il fait, je suis impressionnée. C’est comme s’il avait décidé de faire un pied de nez à la vie. Il réussit à faire des choses incroyables malgré son handicap. En commençant par la cuisine !

« Ma philosophie de vie c’est d’essayer. Essayer de voir si on est capable. Comment on peut dire qu'on n'est pas capable si on ne l’a pas essayé. »

C’est certain que cuisiner sans ses yeux ça demeure un défi, mais avec le temps, Frédéric a développé plein de trucs. Sa balance parlante et son thermomètre parlant l'aident énormément, mais sinon, quand il fait du pain, c’est au son qu’il va savoir s’il est prêt. En le tapotant, il va entendre s’il sonne creux ou pas.

« Quand je fais une recette, c’est sûr que je fais mon possible et la présentation laisse parfois à désirer. (Rire) Je vais plus axer ma cuisine sur les saveurs, je ne fais pas de compromis. Il faut que ça goûte bon. »

ESPADRILLES ET CIE

En 2007, Frédéric se rend au pavillon sportif de l’UQAC (l'Université du Québec à Chicoutimi) et il y découvre la piste d’athlétisme. Ça a été une révélation.

Le contenu continue ci-dessous

« La surface est brune, les lignes sont blanches. C’était facile de suivre le parcours avec le peu de vision que j’ai. Fait que je me suis abonné. Puis c'est comme ça que j'ai commencé à courir et depuis 2015 je fais du triathlon. »

Depuis qu’il a emménagé à Saint-Hilaire, Frédéric court toujours et avec sa conjointe, Stéphanie, il pratique le vélo tandem, le ski de fond, le ski alpin, et la randonnée. Il faut dire que la montagne est à un coin de rue et c’est facile pour lui d’y avoir accès.

« C'est sûr que par moments c'est plus ardu, mais c'est faisable. Avec quelqu'un qui me guide adéquatement, je réussis à faire pas mal d'affaires. (Rire) »

TERRES ÉTRANGÈRES

Même s’il ne voit pas beaucoup, Frédéric adore voyager. Il me dit que l’on ne voyage pas seulement avec les yeux. On voyage par les odeurs, les sensations, les choses qu’on entend, les gens que l’on rencontre et avec qui l’on parle. On voyage autrement, mais on voyage pareil ! Il me raconte que, depuis son accident, il a visité des endroits qu’il n’avait jamais visités avant. Il est allé en Gaspésie, en Estrie, au Mexique et à Cuba. Avec sa conjointe, qui est française, il est même allé en France et en Espagne.

« Quand on va dans le sud, ce qui me surprend à chaque fois, c’est qu’en débarquant de l’avion, c’est comme si on ouvrait la porte du four, il fait chaud ! (Rire) Sinon à Cuba c’est la chaleur du peuple que je trouve particulière. Je sens leur sourire quand ils me disent : Holà ! »

SENTIR POUR MIEUX VOIR

En perdant la vue, Frédéric a pris conscience de ses cinq sens. Son ouïe, par exemple, n’était pas exploitée à son plein potentiel. Il a appris à réellement écouter. Quand il se trouve au terminus de Longueuil par exemple, il est en mesure de se repérer justement grâce aux bruits qui passent généralement inaperçus, mais que lui entend.

Quand je lui demande si c’est son sens le plus développé, il me répond : ‘’Non, c’est l’odorat.’’ Il se rappelle que quelques semaines après son accident, il était couché sur le divan du salon et sa mère était à la cuisine. À un moment, il lui a dit : ‘’Eh ! Tu coupes du céleri.’’ Elle a dit : ‘’Comment ça ? ‘’ Il lui a dit : ‘’Je le sens.’’ C’est à ce moment-là qu’il réalise qu’il peut voir autrement.

« (Rire) J'suis un peu comme un chien. Le nez, c'est vraiment mon sens le plus développé. J'ai tendance à sentir tout ce que je touche et parfois je dois me retenir. (Rire) Quand je vais magasiner avec quelqu'un, mettons, je ne suis pas obligé de lui faire sentir la chose que je touche. Il faut que je réprime ça un peu des fois. »

En parlant de chien, le sien commence à nous tourner autour. C’est l’heure de la promenade et on sort marcher dans le quartier. En arrivant au coin de la rue, Frédéric me prend le bras et me dit : ‘’Sens-tu le pain ?’’ Je m’arrête, je ferme les yeux et je me concentre. Au bout d’un moment je dis : ‘’Ouiii ! Je sens le pain. Ça sent bon !’’ Il m’apprend que la boulangerie Le pain dans les voiles n’est pas loin. Souvent les odeurs lui servent de guide. Comme présentement.

L’EUROPE, ÇA SENT QUOI ?

« En allant en Europe, ce que je remarque en premier c’est le bruit des voitures et ensuite l’odeur. C’est drôle à dire, mais pour moi, la France, ça sent le pot d'échappement. On dirait que les émanations sont plus présentes là-bas qu’ici. Particulièrement l’hiver. Et je trouve ça un peu dérangeant. »

LA GASPÉSIE, ÇA SENT QUOI ?

« Il y a de bonnes odeurs en Gaspésie. Mais c'est des odeurs que je connaissais déjà un peu. Des odeurs de bord de mer. Parce que moi je viens de La Baie et l'eau est salée au Saguenay. Par contre, quand je vais en Gaspésie, ce que je trouve dépaysant, c’est l’accent ! Moi aussi j’ai un accent, je viens du lac, mais eux, elle est différente et je trouve ça intéressant. Ça m’accroche l’oreille, dans le bon sens. (Rire) »

MONT-SAINT-HILAIRE, ÇA SENT QUOI ?

« On est comme à la jonction du milieu urbain et de la campagne. Parfois ça sent le pot d'échappement, parfois ça sent l’exploitation agricole. Ça dépend de la saison et de la direction du vent. Et avec la montagne tout près, il y a aussi plein de bonnes odeurs. »

CHAQUE SAISON SON ODEUR

« L’automne, j’aime beaucoup l’odeur des feuilles qui commencent à se décomposer. Et plus tard, quand le sol gèle, bien là c'est différent. Quand le sol est gelé, on sent moins les odeurs. L’odeur de la pluie aussi va varier. Je m'explique. Par exemple, en été, quand il fait chaud, la première pluie qui tombe a toujours une odeur particulière. Tandis que si vous avez une pluie continue, vous sortez dehors ; ça ne sent pas pareil. Chaque saison, il y a sa variété d'odeurs et j’adore ça. »

Merci, Frédéric, de m’avoir permis d’entrer dans ton univers riche et coloré. C’était pour moi un privilège !