Les espèces terrestres peinent à migrer pour survivre

La littérature scientifique regorge d’exemples d’espèces qui, au fil des ans, ont dû migrer pour assurer leur survie. Un groupe de chercheurs a voulu savoir s’il y avait un lien entre la migration des espèces, marines et terrestres, et l'augmentation des températures globales. Selon leur constat, les espèces marines migrent six fois plus rapidement que celles vivant sur la terre ferme. Certaines espèces, qui tentent de fuir le réchauffement, risquent carrément de disparaître.

Créer une base de données

Jonathan Lenoir est Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il est basé à l’université de Picardie-Jules-Verne (UPJV) à Amiens en France. M. Lenoir a participé à l’élaboration d’une base de données qui s’est échelonnée sur six ans. Celle-ci avait pour but d’analyser les observations réalisées sur le déplacement des espèces, retrouvées dans plusieurs études. Avec ses collègues, ils ont recueilli plus de 30 000 observations sur 12 415 espèces contenues dans 258 études scientifiques. En comparant les résultats de cette nouvelle base de données avec les bases de données qui concernent la vitesse du réchauffement climatique observée au cours des dernières décennies, ils ont pu étudier la vitesse de déplacement de certaines espèces en fonction du réchauffement et ainsi conclure que les espèces marines se déplacent plus vite que les espèces terrestres.

M. Lenoir, que nous avons joint par téléphone, souligne qu’ils ont pu analyser la vitesse de déplacement des espèces par rapport aux mouvements des isothermes terrestres et marins (l'isotherme est une ligne ou une frontière fictive le long de laquelle la température est constante). “ Si on prenait une étude et que les chercheurs montraient dans cette étude qu'une espèce A s’était déplacée de tant de kilomètres par an, nous, on calculait de combien les isothermes s’étaient déplacés. Ensuite, on comparait la vitesse de déplacement de l’espèce par rapport à la vitesse de déplacement de l’isotherme, pour voir s’il y avait une corrélation, si elle se déplaçait plus rapidement ou moins rapidement que les isothermes et si le déplacement se faisait dans la même direction”, explique le chercheur.

Marines vs terrestres

L’étude conclut que, parmi les espèces terrestres, ce sont les amphibiens et les insectes qui semblent s’être le plus déplacés, autant en latitude qu’en altitude. Du côté des espèces marines, 80 % de celles enregistrées dans la base de données sont ectothermes, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas la capacité de réguler leur température corporelle, comme le font les animaux à sang chaud. Elles sont donc complètement dépendantes de leur environnement pour le faire. Selon le chercheur, ceci pourrait expliquer, en partie, le résultat de leurs analyses; ”Si vous augmentez d’un degré la température de votre baignoire, ça va se ressentir plus rapidement sur votre corps que si l’air monte d’un degré.” De plus, il souligne que les mouvements en milieux marins sont beaucoup plus faciles, car, en milieu terrestre, il y a une importante fragmentation des écosystèmes. “Les stocks de ressources marines vont être remaniés à l’échelle mondiale avec un impact sur notre économie”, rajoute M. Lenoir.

Les espèces terrestres foncent vers un cul-de-sac

Une espèce marine qui doit se déplacer pour assurer sa survie parce que son milieu de vie s’est réchauffé va simplement bouger vers les pôles jusqu'à ce qu'elle retrouve des conditions idéales pour s’y établir. Dans le cas des espèces terrestres, elles peuvent, soit se déplacer vers les pôles ou migrer en altitude pour trouver des conditions plus froides. Si la température de leur nouvel habitat continue de se réchauffer, elles devront à nouveau poursuivre leur migration plus en altitude. Le risque est élevé de voir cette espèce disparaître, car une fois arrivée au sommet de la montagne, son environnement peut ne plus être satisfaisant et puisqu’elle n’a nulle part où aller, son extinction serait inévitable. Rappelons que les quelque 12 000 espèces répertoriées ne représentent que 0,6 % de la biodiversité.