Le Saint-Laurent en manque d’oxygène

Le taux d’oxygène du fleuve Saint-Laurent est en baisse depuis quelques décennies. Déjà, en soi, c’est une nouvelle inquiétante, mais quand on réalise que c’est dû à la hausse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère terrestre, notre niveau d’inquiétude monte encore d’un cran.

Une étude parue dans la revue « Nature Climate Change » en 2018 conclut que nous assistons à une modification de la circulation océanique dans la portion nord-ouest de l’Atlantique. Selon Denis Gilbert, chercheur sur le climat, en sciences océaniques pour Pêches et Océans Canada, qui a participé à cette étude, « Les faibles teneurs en oxygène dans les eaux à plus de 200 mètres de profondeur du golfe du Saint-Laurent font que ces zones sont les plus à risque de perte de biodiversité ».

C’est dans le nord-ouest de l’Atlantique qu’évoluent deux courants importants. Celui du Labrador et le Gulf Stream. Le courant du Labrador apporte de l’eau froide et bien oxygénée en direction du sud. Le Gulf Stream, quant à lui, déplace de l’eau chaude et moins oxygénée vers le nord. On retrouve dans le golfe du Saint-Laurent un profond chenal appelé « chenal Laurentien ». Il s’étend du plateau continental à l’est, à l’embouchure du Saguenay à l’ouest. Cette anomalie du fond marin agit comme un aspirateur et force le courant du Labrador, qui longe la côte, à bifurquer de façon assez marquée vers l’ouest pour s’engouffrer dans le chenal. Ce mécanisme contribue à l’oxygénation des eaux profondes du Saint-Laurent.

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Modifier la cellule de Hadley

Le réchauffement de la Terre se fait de façon inégale, l’équateur se réchauffant plus que les pôles. Cette inégalité crée la cellule de Hadley, un mécanisme responsable de la redistribution de la chaleur sur Terre.

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À l’équateur, l’air chaud, moins dense et plus léger, s’élève jusqu’à la tropopause. Puis, il migre vers les pôles. Une fois refroidi, il redescend vers le sol et retourne vers l’équateur. Selon l’étude, l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère modifie la cellule de Hadley en déplaçant plus au nord la zone où l’air redescend. C’est dans cette portion de l’atmosphère qu’évolue le courant-jet. En modifiant sa position, on modifie son influence. Le courant-jet déplace les systèmes météo et les masses d’air, mais il a aussi un impact sur les courants océaniques.

Plus de chaleur, moins d’oxygène

L’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère étire la cellule de Hadley vers le nord, qui à son tour favorise une trajectoire du courant-jet plus au nord. Puisque les vents dominants ont un effet sur les courants marins, une trajectoire plus au nord du courant-jet aura pour conséquence de pousser la trajectoire du Gulf Stream également vers le nord. Avec cette nouvelle position, le Gulf Stream coupe maintenant la voie au courant du Labrador juste avant qu’une portion de celui-ci ne pénètre dans le chenal Laurentien.

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Il ne coupe pas complètement la voie au courant du Labrador, mais diminue son apport dans le golfe du Saint-Laurent. Selon Denis Gilbert, « Au cours des années 1930, les eaux profondes du Saint-Laurent provenaient à 72 % du courant du Labrador et à 28 % du Gulf Stream. Ces proportions sont maintenant voisines de 50 % chacune ». Le Gulf Stream étant moins riche en oxygène parce qu’il est plus chaud, le taux d’oxygénation du Saint-Laurent a baissé. Le scientifique note également que la température des eaux du fleuve a augmenté, passant de 3,3 °C à Rimouski dans les années 1930 à 6 °C aujourd’hui. C’est une très mauvaise nouvelle pour cet écosystème et sa biodiversité.

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